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Alban Bensa


Bensa A. (2010). Après Lévi-Strauss. Pour une anthropologie à taille humaine.

Textuel. Coll. Conversations pour demain.

Il s’agit d’un long entretien mené par Bertrand Richard dans lequel Alban Bensa formule une critique de la pensée de Lévi-Strauss et lui oppose sa propre conception de l’anthropologie.

Après avoir évoqué l’approche de Durkheim, le fondateur de la sociologie scientifique, l’auteur reproche tout d’abord à Lévi-Strauss son silence sur la Shoa. Lévi-Strauss n’a rien dit sur les camps, pas un mot ! (p.19). Or Bensa constate que les déportés fabriquent du social et il considère que cette capacité à produire du social contre des gens qui (…) voulaient le détruire constitue un objet anthropologique en soi. (p.19).

Selon lui, Lévi-Strauss ne s’est pas intéressé aux contenus, mais aux formes, pas aux individus concrets, mais aux totalités : par exemple aux structures formelles d’un mythe. Or les mythes sont des récits, faits de parole, de langage et donc des faits historiques, pas de la pure pensée. (p. 20).

Bensa considère que Lévi-Strauss a tendance à rapporter la complexité à des « modèles simples », ce qui lui permet de gagner en autorité et en intelligibilité, mais a des conséquences théoriques terriblement réductrices. Cela lui fait perdre en route une dimension essentielle du social, à savoir son historicité. (p. 21). Est aussi perdue en chemin toute l’affectivité (p. 22).

Se pose aussi la question de la transmission de ces schèmes formels, ici pensés comme étant ceux à la fois de l’esprit humain et de la société. Les variations de ces ensembles sont pensées comme des variations logiques au sein du dispositif structural qui les charpente. (p. 22). Bensa oppose le structuralisme de Lévi-Strauss à la pensée historique de N. Élias (La civilisation des mœurs) qui développe l’idée que tout est appris, réinterprété, réévalué (et que) nous n’avons accès qu’à des processus de transformation.

La tâche de l’anthropologue est de décrire ces pratiques historiques, ce qui suppose de faire une histoire sociale des choix humains. Et bien sûr ces options, ces « logiques », sont politiques plutôt que structurales. Or Lévi-Strauss évacue purement et simplement l’ordre du politique. (p. 23).

Il cite aussi Michel Foucault et l’histoire de la subjectivation en tant que processus social qui permet de dépasser la fausse opposition individu-société ou holisme-individualisme. (p. 25).

Dans son livre La fin de l’exotisme, Bensa dénonce les trois dénis (déni de l’histoire, déni du réel, déni des acteurs) qui caractérisent trop souvent l’anthropologie. Il remarque que les penseurs indigènes n’apparaissent presque jamais dans les travaux des anthropologues qui entendent révéler l’intelligibilité profonde de leurs sociétés, comme porteurs de leurs propres idées, avec leur nom et leur biographie. Le seul penseur légitime étant l’anthropologue. (p. 35). Il propose au contraire d’inverser la méthode, de partir des acteurs et de la façon dont ils conçoivent leurs propres pratiques. (p. 36). D’en finir avec les notions de « représentations collectives » ou de pensée mythique. Il s’agit alors d’adopter une approche du langage qui ne dissocie pas les énoncés de l’énonciation, les contenus des contextes et du choix des formes.

Bensa rappelle aussi que tout savoir des sciences sociales est impliqué. Car selon lui, trop de travaux sont rongés par ce qu’il désigne comme une déréalisation de l’autre et de soi. (p. 37). Il évoque la capture du chercheur par son terrain qui conditionne la forme et le contenu des produits de son enquête et l’alchimie du transfert et du contre-transfert. Il dit : L’enquête ethnographique est une sorte de stage de formation à un univers social différent du sien (…) La dissolution de nos rigidités, la perte de nos automatismes sociaux initiaux, la remise en cause de nos convictions accompagnent et conditionnent en effet notre compréhension de ce qui survient là où nous sommes à un moment précis. L’élaboration du savoir ethnographique passe par cette transformation de soi. (p. 39).

Il insiste sur le principe de proximité, le regard rapproché et sur la perspective dialogique, ou l’heuristique de l’interlocution, dans laquelle les informateurs deviennent des co-auteurs, co-producteurs du savoir. (p. 42). Il dénonce l’incompréhension ou le mépris des savoirs locaux, au nom d’idées générales présentées comme universelles et affirme la nécessité de la restitution des trajectoires, de la parole des gens, de leur créativité, du recueil biographique de leurs expériences. (p. 44).

Il dénonce aussi l’opposition factice entre le global et le détail et propose de s’intéresser à la rhétorique, aux genres narratifs, aux règles de construction du sens, à la pragmatique des relations sociales, c’est à dire, dans le même mouvement, au détail linguistique, rituel, politique et aux attendus qui le rendent possible. (p. 50).
A propos de Durkheim : l’idée du primat de la contrainte, essentielle à la construction de la discipline dans tous les sens du terme, est aussi évidemment tout à fait conservatrice. (p. 57). L’insistance sur la contrainte fait des acteurs de simples exécutants.

A propos du travail théorique, il dit : faire des propositions théorique, certes, mais à partir de quels types de matériaux ? Soit des unités sémantiques hors contexte… C’est là une conception bien figée qui ne sous apprend rien sur ce que les gens font, ni même sur qui a dit quoi et quand… mais prétend nous expliquer ce qu’ils sont en dehors de toute histoire, de toute mise en œuvre d’actions situées. (p. 62). Or selon lui, le travail de l’anthropologie consiste d’abord à raconter des histoires, celles des gens, celles qu’ils ont racontées… La mise en récit, voire en chronique, a le mérite de nous faire entrer dans la temporalité pratique des actions. (p. 63). Il rappelle que le langage ne fait sens qu’en situation.
Il choisit de pratiquer une recherche impliquée et située. Car l’anthropologue se trouve profondément impliqué dans des échanges verbaux avec ses interlocuteurs ; il noue avec eux des liens intellectuels, politiques, affectifs spécifiques. (p.68).

Évoquant son travail en Nouvelle Calédonie il assume que deux registres d’intervention (scientifique et politique) se croisent : le second étant celui de la dénonciation de la domination coloniale imposée par la France au peuple autochtone (p. 88) et le soutien aux Kanaks dans leur reconquête de dignité et de pouvoir jusqu’à l’indépendance. (p. 114).

Dans cette posture, l’ethnologie relaie les points de vue de celles et ceux dont les voix ne sont pas entendues, les logiques d’action qui ne sont pas en phase avec les logiques d’État. Elle apporte donc sur la scène publique, et invite à les respecter, des éléments nouveaux au débat, des points de vue méconnus, des formes d’expression particulières. Il faut pour cela développer une écoute professionnelle, c’est à dire qui ne distille pas un écran de fumée moral sur les conduites et pratiques, qui ne juge pas mais accueille l’autre dans sa singularité telle qu’elle se donne à voir. … Parce que l’anthropologue détisse les ordres en montrant ce qui les rend à la fois possibles et toujours fragiles, il est toujours potentiellement subversif. Il n’est au fond l’allié d’aucun pouvoir s’il travaille à montrer combien le lien social est fragile et toujours à reconstruire… L’anthropologie peut contribuer à casser les dispositifs hiérarchiques qui empêchent les gens de communiquer les uns avec les autres. (p. 115).

Reconnaître l’autre dans son être social avec une attention déhiérarchisée et prendre l’autre au sérieux. (p. 117- 128).
Ainsi une véritable ethnographie doit-elle être à la fois indulgente et critique et se placer dans une perspective de transformation sociale. (p.118).







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