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Expérience


Quelques éléments de réflexion sur l'apprentissage par l’expérience

(voir aussi rubrique textes : Reconnaissance )

Extrait du premier chapitre du livre : La Validation des Acquis de l’Expérience dans les métiers du travail social, C. Thouvenot (Coord.), L’Harmattan, 2008 :

Ce texte rappelle tout d'abord le contexte dans lequel la réflexion sur le rôle de l'expérience dans l'apprentissage a été relancée en France, en relation avec l'application de la loi de 2002 sur la reconnaissance et la validation des acquis. Il présente ensuite une rapide synthèse de quelques travaux portant sur l'apprentissage expérientiel et sur la question du sens et de la valeur de l'expérience. Il les met aussi ces derniers en relation avec des thèmes classiques de l'épistémologie. La bibliographie permettra d'approfondir ces questions aujourd'hui incontournables pour penser les évolutions de la formation professsionnelle.

Au cours des dernières décades, dans les pays les plus développés, nous sommes passés de politiques éducatives centrées sur le développement général de l’éducation, l’allongement de la durée des études, l’élévation du niveau d’éducation et de qualification de la population, à des politiques d’optimisation des ressources, de rentabilisation des investissements éducatifs. Cependant les enjeux de justice sociale, d’équité dans l’accès à la formation, de promotion des individus, continuent à faire l’objet de préoccupations légitimes, ce qui entraîne des tensions entre des enjeux économiques et des enjeux sociaux.

Deux autres tendances du contexte sont également à rappeler, car elles jouent un rôle majeur pour les questions qui nous intéressent. La première concerne l’accélération des changements technologiques, économiques et sociaux, qui rendent nécessaire des ajustements plus fréquents et plus rapides entre les qualifications disponibles, l’offre de formation et le marché de l’emploi. D’un point de vue sociologique, on peut relier cette tendance forte à des notions comme la société du risque (Beck 1986, 1996) ou le sentiment d’insécurité sociale et de précarité accrue (Castel, 1995). La seconde est liée à l’individualisation croissante, à la responsabilisation des individus dans leur rapport à l’entreprise (Castel 2001). Elle est à rapprocher de la question de l’employabilité et de la formation tout au long de la vie qui apparaît de plus en plus comme une injonction, sinon une obligation pour tous (Hébrard 2003).

C’est dans ce contexte global qu’il faut situer la création et le développement d’un cadre juridique, d’organismes et de pratiques permettant la reconnaissance et la validation des acquis de l’expérience. Même s’ils ne sont pas récents, du moins en Amérique du Nord et dans certains pays européens, l’importance qu’ils ont prise au cours des dernières années et la promulgation d’un nouveau texte de loi, notamment en France, posent dans des termes nouveaux la question d’une éducation des adultes et d’un accès à la qualification plus efficaces et plus justes. En effet, ce nouveau contexte pourrait faciliter l’accès à l’éducation et à la formation et ouvrir une nouvelle voie pour la reconnaissance et la certification des apprentissages effectués de façon informelle à travers l’expérience personnelle ou professionnelle.
C’est donc bien un enjeu de justice sociale et de citoyenneté active, si l’on considère que l’accès à l’éducation et la reconnaissance des savoirs et des compétences acquises sont essentiels dans le fonctionnement d’une société démocratique et d’une économie de la connaissance. Nous examinerons d’abord quelques questions d’ordre théorique, puis nous présenterons le contexte, la problématique et les premiers résultats d’un recherche en cours sur le rôle de la reconnaissance et de la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) dans la construction de l’identité.

1.Quelques questions et enjeux d’ordre théorique


L’idée selon laquelle l’expérience est source d’apprentissages n’est évidemment pas nouvelle. Pour se limiter au XXe siècle, on la trouve notamment développée par J. Dewey (1938) dans son livre « Experience and education ». Mais c’est surtout à partir des années 1970 et au cours des années 1980 qu’un grand nombre de travaux vont analyser les caractéristiques, les conditions et les processus de l’apprentissage expérientiel. Nous passerons tout d’abord en revue quelques-uns des travaux qui tentent de définir et de caractériser les différentes conceptions de l’apprentissage expérientiel.

1.1 Apprentissage expérientiel et validation des acquis : définitions et typologies


Keeton et Tate (1978) définissent les deux conditions nécessaires pour qu’une formation puisse être qualifiée d’expérientielle. La première est le contact direct entre l’apprenant et l’objet, le phénomène ou la situation étudiée ; la seconde est la possibilité d’agir sur cet objet, ce phénomène, cette situation. On retrouve bien ici les caractéristiques propres à l’ensemble des courants pédagogiques progressistes, d’éducation nouvelle et d’éducation active. D’autre part, Meyer et Berger (1988) distinguent trois approches différentes de la reconnaissance et de la validation des acquis :
- Celle qui relève du contrôle et vise à mettre en évidence la conformité (ou la mesure d’un écart) entre des performances, des capacités observées et une norme (standard) définissant un niveau de connaissances ou une liste de capacités requises. D’où la mise en œuvre d’instruments de mesure ou de tests permettant de contrôler l’homogénéité et la conformité des connaissances et capacités acquises avec celles qui sont attendues.
- Celle qui relève d’une évaluation sans visée de contrôle, consistant à attribuer une signification et une valeur à un ensemble d’acquis en repérant des éléments significatifs qui peuvent être différents, mais jugés dignes d’être reconnus comme équivalents, de même valeur que des apprentissages résultant d’une formation, recensés dans un programme ou un référentiel, sans être identiques ou homogènes.
- La reconnaissance comme prise en considération des acquis, sans visée de légitimation ou de certification, par exemple dans un processus d’orientation, de conseil, une démarche de bilan, ou pour définir le contenu d’un parcours de formation, ou encore pour prendre en compte les acquis antérieurs dans la gestion des ressources humaines.

Finger (1989) distingue deux courants principaux, fondés sur deux traditions philosophiques différentes, qui ont influencé la plupart des idées et des pratiques concernant la formation informelle et les conceptions de la reconnaissance et de la validation des acquis de l’expérience. Le premier, qu’il nomme « apprentissage expérientiel », est d’origine anglo-saxonne. Il se fonde sur le pragmatisme en philosophie et sur des travaux de psychologie sociale et de psychologie cognitive. Kolb (1984), l’un des chefs de file de ce courant, considère l’apprentissage comme une sorte de résolution de problème et propose d’organiser chaque séquence de formation en quatre étapes, s’inspirant de la méthode utilisée dans les sciences expérimentales. Il formalise ainsi l’apprentissage expérientiel dans son célèbre « learning circle ».

Plus généralement, de nombreux dispositifs de formation sur le lieu de travail et filières de formation professionnelle se réfèrent à cette approche inspirée du pragmatisme et parfois du behaviorisme. Ils sont principalement orientés vers l’acquisition de savoir-faire opérationnels, plus ou moins formalisés dans des référentiels (standards) de compétences. L’apprentissage y est découpé en modules de formation centrés sur des objectifs opératoires et validés par des tests, à chaque étape. Le même type de tests et de référentiels, constitués de listes de compétences et des indicateurs de performance correspondants, sont utilisés dans les pratiques de validation des acquis s’inspirant de cette conception. Le modèle des NVQ au Royaume-Uni est l’un des exemples les plus connus de cette approche.

Le second courant, que Finger nomme la « formation par les expériences de vie », est fondé sur une orientation de la philosophie allemande, la philosophie de la vie, liée au romantisme. Cette approche s’intéresse à la façon dont une personne construit son identité et attribue un sens à son vécu et à ses expériences, à travers sa participation à la vie socioculturelle, par une démarche de recherche et d’évolution personnelle, de formation de l’esprit, d’interrogation de son rapport aux autres et au monde. Les principaux auteurs auxquels se réfère ce courant sont des philosophes comme W. Dilthey et H. G. Gadamer et des sociologues, notamment G. Simmel et M. Weber. On peut rattacher à ce courant les démarches qui s’appuient sur les histoires de vie, l’autobiographie (Dominicé 1990, Pineau 1993), ou encore l’élaboration de portfolios (Robin (1988), du moins quand l’aspect humaniste de cette approche reste prédominant et qu’elle n’est pas réduite à une simple procédure de production d’un dossier rassemblant des preuves à des fins de validation.


1.2 Le sens et la valeur de l’expérience


Parmi les questions théoriques que soulèvent les pratiques de validation des acquis de l’expérience, nous passerons en revue celles qui nous semblent les plus importantes, sans prétendre à l’exhaustivité. Un premier ensemble de questions concerne le sens et la valeur à attribuer à l’expérience et les difficultés à expliciter, à évaluer et à certifier ce qui est appris de façon informelle, à travers l’expérience, et non au cours d’un cursus de formation. La plupart des auteurs s’accordent à reconnaître que ce qui caractérise la formation des adultes c’est notamment que ces derniers ont, contrairement aux enfants, une expérience personnelle et professionnelle plus ou moins longue et diversifiée et qu’il est nécessaire de prendre en compte cette expérience.

Mais des divergences apparaissent à propos du rôle de l’expérience dans l’apprentissage et elles réactivent de vieux débats philosophiques, en particulier :
- L’opposition entre les empiristes et les rationalistes, entre ceux qui considèrent que toute connaissance nous vient de l’expérience et que toute expérience peut produire des connaissances et ceux qui estiment qu’un ensemble de principes et de fondements, qu’ils soient métaphysiques ou méthodologiques, précèdent et servent de cadre au développement des connaissances.
- L’opposition entre les partisans d’une coupure épistémologique (Bachelard 1938) entre les savoirs scientifiques et ceux issus de l’expérience quotidienne ou des idées reçues (croyances, idéologies) et les auteurs qui considèrent qu’une théorie de la connaissance doit intégrer dans un même processus la construction des connaissances quelles que soient ses sources et ses conditions de production. Selon ces derniers, il n’y a pas de différence de nature entre les savoirs scientifiques et les savoirs issus de l’action et de l’expérience au quotidien, mais seulement une différence analysable en termes de degrés d’abstraction et de formalisation.

Ces oppositions, qui ne sont pas toujours explicites, sont en arrière plan de beaucoup de discussions actuelles sur la valeur des apprentissages expérientiels et sur les conditions et les méthodes qui peuvent permettre de les reconnaître et de les valider. Parmi les travaux qui peuvent nous aider à dépasser ces vieux débats et à sortir de ces apories, nous citerons d’abord ceux qui se fondent sur l’œuvre de Vygotski (1985) et ses prolongements dans le courant socioconstructiviste. Ils permettent à la fois de reconnaître les différences entre, d’un côté, les « concepts quotidiens » et les apprentissages expérientiels et, de l’autre, les savoirs académiques ou les concepts scientifiques, tout en décrivant les processus qui permettent de passer des uns aux autres. Ils insistent sur le rôle du dialogue, de l’interaction sociale dans la construction des savoirs. Cette idée est aussi développée par Bruner (1991) qui montre comment les interactions sociales, la participation à une culture, l’appropriation des formes sociales organisées, contribuent à la formation de l’esprit.

Un autre ensemble de travaux s’appuie sur l’œuvre de Piaget, en particulier son ouvrage « Réussir et comprendre », pour analyser la relation entre l’action et la compréhension. Nous citerons en particulier les apports de Vergnaud (1997) qui applique à ces questions, en les redéfinissant partiellement, les concepts piagetiens de schème et d’invariant opératoire. Il développe une théorie des champs conceptuels qui fait une place aux concepts en actes, liés directement à l’action. Plus largement Bourgeois et Nizet (1997) font une synthèse des apports de ce courant piagetien à la formation des adultes et critiquent la notion d’andragogie en insistant sur l’unité des processus d’apprentissage chez l’enfant et chez l’adulte.

Nous citerons aussi des travaux qui proposent des méthodes destinées à faciliter l’explicitation des connaissances acquises par l’expérience. C’est le cas de Vermersch (1994) qui a développé une méthode qu’il nomme l’entretien d’explicitation. Selon cet auteur, la prise de conscience des savoirs incorporés et liés à l’action, qui sont implicites ou tacites, ne peut se faire qu’avec l’aide d’un interviewer qui centre le dialogue sur les activités réellement menées, sur le comment, sur les procédures utilisées et les manières de faire. Ce travail d’explicitation guidée est complété par l’analyse des traces de l’activité.

D’autres auteurs ont développé des méthodes et des réflexions centrées sur l’analyse des pratiques, souvent menée en groupe (Blanchard-Laville et Fablet 1998, 2001) ou sur l’observation ou l’enregistrement de séquences de travail, suivies d’auto-confrontation ou de confrontation croisée entre l’opérateur (celui qui a été filmé au travail), un analyste du travail et éventuellement un autre opérateur réalisant la même tâche (Clot 1999, Olry 2004).

(la suite de ce document dans la rubrique "les textes" : Reconnaissance et )


Références bibliographiques :


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