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Formateurs



Le sujet et l'objet dans le travail des formateurs et le processus de formation



(CHAPITRE 6 du livre : Formation et professionnalisation des travailleurs sociaux, formateurs et cadres de santé

  • P. Hébrard (Coord.) L’Harmattan, 2004)

Ce texte présente et critique la conception du travail des formateurs proposée par Marcel Lesne. Il défend une conception différente de ce travail et du processus de formation, considérant que les sujets de ce processus sont avant tout les personnes en formation ; l'action des formateurs portant sur le dispositif pédagogique (l'organisation des activités, des situations et des conditions de l'apprentissage) et sur les interactions dialogiques auxquelles ils participent par leurs attitudes et leurs paroles.
(Voir aussi , dialogique et Bakhtine)

A côté des travaux qui s'appuient sur les discours des agents de la formation concernant leur professionnalité ou leur identité professionnelle, et ce qui les fonde (Cf. chapitre 5), quelques auteurs ont tenté de construire des modèles théoriques rendant compte du travail des formateurs. Chacun de ces modèles présente une conception de ce qu'est fondamentalement l'acte de formation, (qui en est le sujet, quel en est l'objet), bref de ce qui constitue le cœur ou le noyau de l'activité des formateurs, du point de vue du chercheur.

L'un des plus anciens est celui proposé par M. Lesne dans les années soixante-dix, qu'il a reformulé à plusieurs reprises ces dernières années (Lesne 1977, 1984, Lesne et Minvielle 1990, Lesne 2001). Après avoir travaillé au CUCES à Nancy, M. Lesne a été le fondateur et le premier titulaire de la chaire de formation des adultes du CNAM et ses travaux ont eu une influence certaine sur plusieurs générations de praticiens et de chercheurs s'intéressant à la formation des adultes. L'objet de ce chapitre sera tout d'abord de présenter le modèle de M. Lesne, puis d'en faire une critique, avant de proposer un autre modèle du travail de formation et du travail des formateurs, deux notions qu'il me semble important de distinguer.

1. Le modèle de l'activité de formation proposé par Marcel Lesne

Je prendrai pour point de départ les deux dernières formulations du modèle (Lesne et Minvielle 1990 et Lesne 2001) et en particulier de la troisième partie du livre "Socialisation et formation".

Dans l'introduction de cette partie, un passage résume les travaux antérieurs de M. Lesne. Il est ainsi rédigé : "Toute activité de formation peut être appréhendée comme un processus de transformation des groupes et des individus visés par l'activité de formation. Le processus pouvant être lui-même analysé comme un procès de travail où l'on identifie les éléments indispensables à son fonctionnement. Tout d'abord, ce qui est escompté et visé (l'objectif-produit), les moyens mis en oeuvre pour y parvenir (procédures, moyens matériels divers, moyens humains...) et enfin les éléments ou ensemble d'éléments soumis à transformation (les représentations, attitudes ou savoirs des personnes visées par l'activité formative)".

Puis, après avoir, dans un premier chapitre, rappelé l'actualité et la pertinence du concept de socialisation, les auteurs définissent dans un second chapitre la formation comme "un processus de socialisation reconstruit (qui) a pour fonction de produire des effets socialement utiles" (p. 173), le situant par rapport aux autres processus de socialisation.

Ils développent ensuite l'idée que le processus de formation est finalisé selon une "intention-volonté de former" (p. 176) et en proposent une triple lecture : technique, sociologique et historique (p. 177). Puis ils définissent "l'ouvrage de formation, en tant qu'architecture de dispositifs d'action" et insistent sur l'importance de la notion de projet, évoquant (p. 185) le projet du commanditaire (ou maître d'ouvrage) et celui du "maître d’œuvre-formateur" - oubliant d'ailleurs au passage ceux des personnes qui vont bénéficier directement de la formation. Le chapitre se termine par divers exemples d'ouvrages de formation et par un schéma qui explicite ces distinctions entre maître d'ouvrage, maître d’œuvre, experts et fournisseurs (p. 191).

Enfin le troisième chapitre de cette dernière partie s'intitule "travail pédagogique et socialisation : l'habitus". C'est celui dont je ferai une présentation et une critique plus serrées. Les auteurs commencent par définir la notion de travail pédagogique dans les termes suivants : "Toute action de transformation suppose des moyens s'appliquant à un objet et produisant un résultat. D'un point de vue purement technique l'action pédagogique se présente comme un travail spécifique, utilisant des moyens spécifiques (méthodes et techniques pédagogiques) s'exerçant sur un objet spécifique (objet de travail pédagogique) en vue d'obtenir des résultats spécifiques..." Puis il est fait référence aux travaux de Bourdieu qui définit le travail pédagogique comme travail d'inculcation, produisant un habitus.

L'essentiel de ce chapitre va ensuite consister à essayer de "cerner l'objet fondamental du travail pédagogique, ce que le travail pédagogique cherche à transformer, les "ce sur quoi" s'exerce précisément la diversité des actions de formation" (p. 196-197).

La suite du chapitre va passer en revue trois concepts : "ceux de représentation, d'attitude et d'habitus (qui) nous paraissent pouvoir approcher l'objet de travail pédagogique fondamental" (p. 198), avant de finir par un paragraphe intitulé :"vers une pédagogie de l'habitus ?"

Ce qui me semble poser problème dans ce modèle, c'est l'utilisation qui est faite, dans l'analyse du procès de travail des formateurs, de l'analogie avec le travail productif de transformation qui s'exerce sur la matière, sur les matériaux, en particulier le travail des architectes et des bâtisseurs. On la trouve dans la façon dont est évoqué le projet (du commanditaire ou du client et du maître d'ouvrage), dans la distinction maître d'ouvrage/maître d’œuvre/fournisseur, dans la description du processus qui met en jeu des opérateurs, des moyens et un produit, résultat d'une transformation opérée sur un objet ou un matériau (le "ce sur quoi" s'exerce le travail pédagogique du formateur).

Cette analogie pose d'ailleurs problème à l'auteur, qui se sent obligé de rappeler (p. 198) qu'il s'agit d'un "objet vivant" et que "le travail pédagogique est alors considéré comme l'articulation d'une activité (d'un travail) du formateur et d'une activité (d'un travail) de la personne en formation". Il va même affirmer plus loin que "le processus de transformation des personnes ne peut (...) se réaliser pleinement que si la personne en formation est aussi considérée comme un agent social qui se forme lui-même" et évoquer l'auto-formation non sans rappeler que "dans le cadre de ce processus (...) interviennent effectivement d'autres agents sociaux, les formateurs, qui confortent, enrichissent, accélèrent, nourrissent, orientent dans un certain sens... cette auto-formation" (p. 211).

On sent dans ces développements, ainsi que dans ceux sur l'ingénierie de formation (p. 222-223) et dans la conclusion de l'ouvrage une ambiguïté, voire même une certaine confusion, qu'il nous faut tenter d'expliciter.

Je m'appuierai pour le faire sur un texte plus récent de Marcel Lesne (2001) dans lequel il compare les pratiques scientifiques et les pratiques formatives. Une citation, qui résume bien la position de Lesne, me permettra de préciser ce qui me parait faire difficulté dans son modèle :

"Pratiques scientifiques et pratiques formatives ont pour trait commun des activités visant à produire par transformation d'une réalité construite (l'objet de recherche) ou d'une réalité concrète (une personne, une situation), soit des savoirs nouveaux ou de nouvelles représentations du réel, soit des changements chez des individus ou des situations. Ces pratiques peuvent être considérées comme des procès de travail (travail scientifique, travail formatif) qu'il est dès lors possible d'analyser comme n'importe quel procès de travail, sans pour autant les assimiler à un procès de production matérielle, les objets sur lesquels ils s'exercent et les moyens employés étant de nature totalement différente de ceux d'une production matérielle." (p. 290).

Ce passage est suivi d'un schéma qui consiste à "distinguer les éléments communs, simples et abstraits, qui structurent tout procès de travail" :

"Force de travail--> Moyens de travail--> Objets de travail--> Résultats du travail"

On voit bien ici que la notion d'auto-formation et l'idée d'activité de la personne en formation, "agent social qui se forme lui-même", sont oubliées ; elles n'entrent pas dans un tel schéma qui définit bien "une activité rationnelle par rapport à un but" (p. 288), même si, en se référant à Weber, Lesne ajoute qu'il s'agit aussi d'une activité rationnelle par rapport à une valeur - cette valeur étant en l'occurrence "le changement considéré comme une nécessité absolue" (ibidem). Les pratiques formatives sont explicitement définies comme un agir s'appuyant sur "une rationalité de type instrumental et procédural" (p. 294), reposant sur un schéma moyens-fins, autrement dit sur ce que F. Imbert (1992) se référant notamment à H. Arendt et à C. Castoriadis, a désigné par le terme grec de poiésis (au sens de fabrication), par opposition à la praxis.

Ce dernier terme désigne en effet une action dans laquelle on ne peut distinguer le moyen de la fin, le sujet de l'objet, ce qui est le cas de la politique, lorsqu'elle est authentiquement démocratique, c'est à dire lorsqu'elle vise la participation effective des citoyens aux décisions, mais aussi de l'éducation et de la formation, lorsqu'elles visent l'autonomie de ceux auxquels elles s'adressent.

2. Critique du modèle de Lesne

A la lumière de cette distinction, il me semble que l'on peut opposer au modèle proposé par Lesne pour rendre compte de l'activité de formation au moins deux objections, l'une d'ordre épistémique, l'autre d'ordre éthique.

La première consiste à rappeler que si la formation est une transformation (des représentations, des attitudes, ...) ou un développement (des connaissances, des capacités, ...) cette transformation ou ce développement s'effectuent chez les personnes en formation et si le formateur peut les faciliter, il n'a pas le pouvoir d'agir directement sur ces processus. Il n'agit que par la médiation de ses "apports de connaissances", des moyens et supports, des exercices, des activités qu'il propose, bref par l'intermédiaire d'un dispositif pédagogique.

La conception, la mise en oeuvre, la conduite, la régulation de ce dispositif et des activités qui s'y déroulent sont bien de la responsabilité du formateur et constituent l'essentiel de son activité. Mais le processus (ou l'acte) de formation se produit chez la personne en formation qui en est le sujet et pas seulement l'objet. C'est ce que la psychologie cognitive nomme l'apprentissage (learning), activité (ou travail) de l'apprenant, qui constitue véritablement le processus de formation. Le concept de "travail pédagogique" tel que Bourdieu l'a défini ne peut en rendre compte. Ce n'est d'ailleurs pas pour cela qu'il a été conçu, mais pour décrire l'inculcation idéologique, considérée d'un point de vue macro-social. Ce n'est à mon avis, dans l'utilisation qu'en fait M. Lesne, qu'un "concept nomade" (Stengers 1987).

La seconde objection, d'ordre éthique (et politique) consiste à interroger cette "intention-volonté de former" et cette valeur qui fonde la rationalité de type instrumental des pratiques formatives dans le modèle de Lesne (le changement considéré comme nécessité absolue). Je crains que ces formulations ne puissent servir à justifier une injonction à s'adapter purement et simplement aux exigences de l'économie et de la société telles qu'elles sont et à modifier dans ce sens "les représentations, les attitudes et les habitus"... ou encore à se conformer à une vision de l'homme nouveau tel que l'avant-garde (ou le leader, ou le manager) l'a profilé.

En écrivant cela j'ai bien conscience que ce n'est pas ce que dit, ni sans doute ce que pense M. Lesne, mais sa conception du processus de formation peut être utilisée par ceux qui raisonnent ainsi, même s'ils ne le disent pas toujours explicitement. Dans leur esprit et dans leurs pratiques, la formation n'est qu'un sous ensemble de la gestion des ressources humaines et des compétences. Ils mettent en avant le changement, l'innovation, mais pour eux la formation n'a qu'une fonction adaptative, à court terme, à des exigences et des contraintes de productivité et de rentabilité.

Ce modèle développé par M. Lesne et repris par ceux qui s'en inspirent me semble donc tout à la fois erroné (au moins partiellement, en tout cas très réducteur) et dangereux du point de vue politique et éthique, dans la mesure où il ne prend pas comme point de départ la volonté (l'intention) de se former des participants, leur projet, et où il ne met pas l'activité de ces derniers (leur travail de formation) au centre du processus.


3. Un autre modèle du travail de formation

Quel modèle opposer à celui de Lesne ? J'ai proposé une conception de la formation, à la fois dialectique et critique, dont je rappellerai ici les grandes lignes (pour un exposé plus complet voir Hébrard 1996 a, 1996 b, 1997).

Pour répondre à la première objection, celle de réduire le travail de formation au travail du formateur et de faire des "formés" (leur représentations, leurs attitudes...) les objets sur lesquels s'exerce ce travail, il faut tout d'abord mieux distinguer, dans l'analyse du procès de travail formatif, le travail du formateur et le travail de la personne en formation.

3.1 L'objet du travail du formateur : le dispositif

Le travail du formateur s'exerce sur le dispositif de formation (ou pédagogique). D'un point de vue technique et didactique, le dispositif peut être décrit comme le cadre spatio-temporel et la combinaison d'un ensemble de moyens, consignes, activités, supports facilitant l'apprentissage ; ces moyens étant conçus et présentés selon une démarche, une méthode, orientée par des intentions, des choix pédagogiques.

Il peut aussi être décrit :

- d'un point de vue sociologique comme une institution structurant des rapports sociaux, définissant des places, des statuts et des rôles,
- d'un point de vue sociolinguistique comme un espace d'énonciation de paroles dont la valeur perlocutoire, voire performative, est liée au point précédent, puisqu'elle dépend des positions des locuteurs et de la structure de l'espace des places, (Ducrot et Todorov, 1972)
- d'un point de vue psychologique (relationnel) comme un espace potentiel, une aire transitionnelle ouvrant à ceux qui y entrent une possibilité de création ou de ré-création.

Selon la manière dont le dispositif est conçu et "habité" (ou animé) par les formateurs, et selon les paroles qu'ils y prononcent, il permet ou interdit - du moins facilite ou rend plus difficile - le processus de formation.

3.2 Le travail (ou processus) de formation


Le travail de formation est un travail sur soi, dont les personnes en formation sont à la fois les sujets et les objets (c'est pourquoi il faut dire qu'elles se forment et non qu'elles "sont formées").

Le processus de formation est (auto-) transformation de schèmes, de représentations, d'attitudes, c'est un travail de construction de connaissances, un travail sur son rapport au savoir, au monde, aux autres et à soi-même.


Ce processus passe par une autorisation : il suppose paradoxalement d'être autorisé et de s'autoriser à changer, à devenir plus autonome, plus confiant et plus conscient, du moins si l'on défend une conception à la fois constructiviste et transformatrice (ou libératrice, au sens de P. Freire) de la formation.

Cela revient à revenir sur la deuxième objection faite au modèle de Lesne et à interroger la position éthique et politique du formateur. Dans la conception que je propose, cette conscience (de ce qui nous influence, nous domine ou nous détermine, au moins partiellement), et cette confiance en notre capacité à changer, à agir sur le monde et sur notre propre situation, sont permises ou facilitées par le dispositif de formation et par la manière d'agir et de parler du formateur, du moins lorsqu'il fait le choix d'une telle position éthique. Le chapitre 8, ci-après, aborde notamment les conséquence de cette conception en matière de formation des formateurs.

Ces deux modèles, ces deux conceptions du procès de travail formatif me semblent offrir une grille de lecture des pratiques et des discours sur la formation que l'on peut relier à la fois aux différents modes de socialisation professionnelle et aux types de dispositifs correspondants (Cf. chapitre 1) , mais aussi aux choix ou aux préférences pédagogiques des formateurs (Cf. chapitre 7).


Références bibliographiques :

DUCROT O. et TODOROV T. (1972). Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage. Paris : Seuil.
FREIRE P. (1971). L’éducation, pratique de la liberté. Paris : CERF.
FREIRE P. (1974). Pédagogie des opprimés, Paris : Maspéro. (réédité par La Découverte en 2001).
HEBRARD P. (1996 a). Du travail, de la formation. Note de synthèse pour l'HDR. Université de Paris 8, Saint-Denis.
HEBRARD P. (1996 b). Entre production, reproduction et création : pour une réélaboration du concept de formation. Communication au deuxième congrès international d'actualité de la recherche en éducation et formation, AECSE, Université de Paris 10, Nanterre.
HEBRARD P. (1997). Les notions de dispositif et de processus dans la conception de la formation. Conférence au colloque "Formaçao de formadores", Lisbonne : ISPA.
IMBERT F. (1992). Vers une clinique du pédagogique. Vigneux : Matrice.
LESNE M. (1977). Travail pédagogique et formation d'adultes. Paris : PUF
LESNE M. (1984). Lire les pratiques de formation d'adultes. Paris : Edilig.
LESNE M. et MINVIELLE Y. (1990). Socialisation et formation. Paris : Païdéia.
LESNE M. (2001). Science et action : quelles relations ? Essai d'analyse. in Centre de Recherche sur la Formation - CNAM, Questions de Recherches en Education 2. Action et identité. Paris : INRP.
STENGERS I. Dir. (1987). D'une science à l'autre, des concepts nomades. Paris : Seuil.


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