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  • Jean-Luc Nancy



Nancy J-L. La possibilité d'un monde
Dialogue avec Pierre-Philippe Jandin.
Paris : Les petits Platon. 2013.

(Extraits, titres ajoutés)

Rapport au monde, rapport aux textes

"J'ai toujours apprécié les travaux manuels pour la qualité de retrait de tout le reste du monde. Lorsqu'on est absorbé par une tâche matérielle (...) De l'autre côté, j'ai toujours été très absorbé par la lecture. Pour moi ces deux sensations s'associent ; dans la lecture aussi, il y a une sorte de solitude, de retrait et d'entrée dans un autre monde." (p. 10).

J-L. Nancy évoque (p. 14) son passage à la JEC et les réunions de travail sur les textes bibliques
"ce qui (...) a été certainement pour moi l'amorce de quelque chose, du rapport au texte comme à une ressource inépuisable de sens. "

Pensée et action (pratique, transformation du monde, habiter le monde)

A propos de Kant (p. 24-25) "Que la raison pure soit par elle-même pratique, telle est la leçon kantienne dans sa formulation sèche. (...) Cela veut dire que dans notre désir de l'inconditionné, dans notre désir de sens, nous sommes pratiques, nous agissons dans le monde, et du coup, la sensibilité a priori, on pourrait dire que c'est la praxis. De toute façon, je suis dans une action de protection et de sécurité avec l'achat d'un . Cette action se rapporte à des fins qui ne peuvent être saisies sous une idée déterminable comme la liberté ; en ce sens, je dirais que Kant rend possible Kierkegaard, Marx, Nietzsche. La philosophie se veut dès alors acte et transformation du monde."

P. 26-27 : "le philosophe est censé introduire la lumière dans le monde. (...) En même temps je pense que ce motif de la visibilité, de la mise au jour, de la représentation, de la forme, a été accompagné de manière continue, par la succession du platonisme, du cartésianisme (...) d'un abaissement du sensible.

P. 28 : "Je me sens toujours dans mon propre travail, dans ma propre écriture de texte, comme trop violemment rejeté du côté du concept, c'est à dire du côté d'un discours qui est sans prise sur le réel.(...) j'envie l'écrivain, le peintre, le musicien ou le danseur, parce que j'ai le sentiment que ces gens-là arrivent à faire des choses qui (...) sont du réel."

P. 30-31 : A propos de la prise de distance avec la phénoménologie, la distinction entre le sujet et le phénomène, et avec le rationalisme qui "nous a fait croire qu'on pouvait planer au-dessus du sensible en le méprisant (...) le monde comme objet, c'est Descartes qui en donne l'exemple le plus frappant (...) Or ce monde devenu objet de connaissance et aussi d'exploration et de maîtrise, est en même temps un monde d'où la présence des hommes (...) a été écartée. En fait l'homme n'habite plus le monde, au sens où Hölderlin, repris par Heidegger écrivait :"L'homme habite en poète". 'Habiter', cela veut dire être dans l'habitus, non pas dans l'habitude mais dans la 'disposition', une disposition active. Au fond l'habitus n'est pas loin de l'ethos ; ce dont nous avons besoin c'est d'une éthique du monde. C'est peut-être la grande affaire de la civilisation occidentale, devenue maintenant mondiale ou globale, que d'avoir eu cette volonté de transformer le monde pour en faire un monde humain alors qu'il se pourrait que nous ayons fini par en sortir. Ou que, à terme, nous nous trouvions dans un ensemble d'éléments, de données, de matières, de dispositifs, de réseaux à l'intérieur desquels nous nous sentions pris et auxquels nous sommes devenus étrangers, parce que ce monde que nous avons maîtrisé, nous échappe. Il nous échappe justement comme monde. Aux images du monde, il est nécessaire de substituer une habitation, une vie du monde, dans le monde. C'est ce que Heidegger voulait dire quand il a introduit ce que l'on traduit par 'être-au-monde' (in-der-Welt-sein) ; dire que l'existant, le Dasein est essentiellement dans le monde, cela veut dire simplement qu'il est nécessairement engagé dans la circulation de sens qui est ce qui fait un monde. (...) Le monde est une possibilité de circulation du sens et nous avons à faire un monde, à refaire un monde."

Pluralité des mondes (possibilités de mondes, théories, fictions)

P. 33 : "Le monde comme lieu du grand nombre, du multiple."
P. 34-35: L'astrophysique se trouve aujourd'hui comme obligée de penser une pluralité de mondes (...) ce qu'ils appellent un "plurivers" ou un "multivers". (...)
Toute la théorie physique est désormais obligée de se penser comme construction de fictions, sans lesquelles on ne peut pas penser ce dans quoi on est, mais à l'aide desquelles on ne peut pas dire non plus qu'on pense un objet, un réel dont on s'approcherait de plus en plus.(...)
Les objets d'observation, de mesure de la science contemporaine sont entièrement fabriqués par l'opération scientifique elle-même (...)
Dans Le nouvel esprit scientifique, Bachelard écrivait en effet que "les instruments ne sont que des théories matérialisées et (que) les phénomènes qui en sortent portent de toutes parts la marque théorique"(...)
Nous produisons, nous multiplions de nouveaux objets selon plusieurs approches, et nous arrivons ainsi à produire plusieurs mondes. Mieux vaut dire, peut-être, afin de ne pas heurter le sentiment réaliste spontané, que nous produisons plusieurs possibilités de mondes ou même plusieurs fictions de mondes."

P. 36 : "Toutefois, même ce mot de fiction est dangereux car il pourrait donner à penser que, derrière ce monde fictif, reste le vrai, alors qu'on est peut-être en train d'en finir avec une représentation de la science comme savoir objectif qui s'approche d'un réel existant en soi."

Désir (de savoir, de jouir)

P. 40 : "retenons cette division qui se produit pour la philosophie entre poser un savoir d'objet et reconnaître que l'enjeu du désir est différent ; on peut désirer ou aimer ce qu'on ne peut connaître. Kant parle en effet de "désir" qu'il nomme en allemand Trieb ; c'est ce même mot qui plus tard sera utilisé pour parler de "pulsion"par Freud.
Apparait donc cette idée essentielle selon laquelle il y a une poussée, un désir qui est aussi bien celui de la vie que celui de la pensée, aussi bien celui de savoir que celui de jouir. Il y a une sorte de - je ne sais comment dire - dynamique fondamentale qui est sans doute ce avec quoi nous avons le plus à faire, alors même que toutes nos habitudes de pensée nous l'ont peut-être fait perdre de vue."

Communauté, commune, humanité

P. 45 : "Ce sentiment du grand nombre, c'est Jean-Christophe (Bailly) en fait qui l'a porté à l'attention, en le mettant en contraste avec la communauté. Ce sentiment vient d'abord déranger quelque choses dans notre habitude de penser selon l'unité. En effet, l'idée de communauté comprend toujours une unité intérieure à laquelle tous les membres de la communauté se rapportent, qu'elle soit religieuse, nationale, familiale, locale aussi comme celle d'un village. (...)

La commune est une notion reprise à ce qui a d'abord été une institution, la commune du Moyen-Age, la commune paroissiale ou bourgeoise, la communauté urbaine, civile, se gérant elle-même et se représentant sa propre unité. Le nombre, c'est au contraire ce qui ne peut se représenter sa propre unité parce qu'il n'en a pas, en quelque sorte. Au fond, à quoi l'unité fait-elle défaut maintenant ? Au monde (...) mais également à l'humanité. Quand on parle aujourd'hui d'humanité, on ne sait plus de quelle unité on parle. Kant soutenait qu'on ne peut répondre à la question "qu'est-ce que l'homme ?" (...) parce que justement l'homme est celui qui se fait, qui se transforme, qui se produit lui-même..."

P. 49-50 : Après avoir évoqué Lévinas et "l'humanisme de l'autre homme", un humanisme qui commence par l'autre ("je suis otage de l'autre, j'en suis responsable..."), à une question portant sur le livre "Entre nous" de Lévinas, J-L. Nancy, dit : "Ce qui est sûr, c'est que l'"entre" est premier, parce que c'est peut-être une manière de creuser ce que "humanisme" peut vouloir ou ne plus vouloir dire. Si le mot "homme" possède une signification, c'est au moins celle du langage. On peut dire beaucoup de choses par rapport à l'animal, on peut même relever la présence d'éléments prélangagiers chez l'animal, on peut dire tout ce que l'on veut, mais l'homme et le langage, ça fait un ; il n'y a pas d'homme sans langage, et il n'y a pas de langage sans homme."(...)
Qu'est-ce que le monde - ou les mondes - sinon justement la possibilité de l'"entre" ?
Il se passe quelque chose entre les choses. (...) Une chose cela veut dire plus d'une chose, deux choses au moins et du même coup forcément trois : la chose A, la chose B et le rapport des deux, c'est à dire l'"entre"les deux qui à la fois les rapporte l'une à l'autre et les écarte l'une de l'autre."

P. 52 / "il n'est pas excessif de dire qu'une part importante de notre culture s'est faite sous le signe de l'"auto". Être, faire, penser par soi-même... Ces impératifs de l'humanisme ont certes joué un rôle émancipateur qu'on ne peut oublier. Mais en fin de compte, l'auto n'est pas ... autosuffisant, si j'ose dire. L'homme ne se fonde pas lui-même, ni ne s'accomplit lui-même. Il "passe infiniment l'homme". Et cela est vrai tant de la collectivité que de l'individu : l'idée de "communauté" recèle de façon assez assez évidente (dans les communautarismes) le danger de se fermer sur une autosuffisance. Et le "nombre" dont nous avons parlé indique bien à la fois le risque de prendre la pure collection du grand nombre comme auto-référence (...) et donc la nécessité de penser par-delà la "majorité" et la "communauté". Obligation pour nous de penser le multiple comme dis-position (non dispersion), comme dis-tinction (...) et en même temps comme connexion et communication, ce qui ne fait ni "unité", ni "pure multiplicité", mais "union", "réunion", "assemblement"."

Classes, peuple, multitude, politique

P. 58-59 : A propos de la notion de lutte des classes : "L'apparition de cette notion eut un fort retentissement, elle est devenue une sorte de référence obligatoire pendant au moins un siècle, disons de 1880 à 1980. (...) après ce siècle entièrement traversé par l'idée de classe (sauf là où les fascismes ont justement noyé toute opposition de classes dans une "masse" alors transfigurée en peuple et le peuple lui-même en "communauté du peuple" en Volksgemeinschaft), on en (a) totalement abandonné le vocabulaire."
Jacques Rancière " a totalement refusé à un certain moment l'analyse en termes de classe pour substituer à cette notion celle des "sans part", de ceux qui n'ont pas part véritablement à la Cité. Il n'y a de politique que lorsque se manifeste un mouvement des sans-part pour réclamer ou exiger leur droit à avoir une part."

P. 62-63 : "La multitude est une pluralité comme telle ; elle est considérée comme devant être, par elle-même ce qu'on avait attendu de la classe, c'est à dire une certaine force, un dynamisme. La multitude ou les multitudes sont par elles-même énergiques, elles font quelque chose, mais ce quelque chose n'est plus de l'ordre du combat qui, lui suppose organisation et engagement front contre front. Les multitudes produisent plutôt quelque chose de l'ordre d'une agitation interne, parfois d'une déconstruction, d'une déstabilisation, d'une mobilisation. On assiste à toutes sortes de mouvements collectifs -pour des motifs économiques de plus en plus fréquents, pour des raisons idéologiques aussi (le "mariage pour tous") pour des enjeux politiques (les "indignés", les "occupy") ... Pour Negri, ces mouvement mettent directement en jeu le désir, la libido (...) et de fait il faut parler des affects collectifs."

Emancipation, affects, rapports

P. 65 : "Qu'est-ce qu'une humanité entièrement émancipée ? Plus précisément, de quoi est-elle émancipée ? C'est une question proche de celle de l'aliénation, ce mot de Marx qui semble appeler une désaliénation, c'est à dire une réappropriation intégrale de quelque chose dont justement on ne sait même pas ce que c'est, ni même si il y a un sens à dire que cela avait lieu avant ou que cela aura lieu après."

P. 66 : "On ne sait pas qui on émancipe, on dit que c'est l'homme, mais justement, comme on ne sait pas qui est l'homme, on ne sait pas qui on émancipe... La même question insiste quand il s'agit d'émanciper un "peuple" ; de "qui" ou de "quoi" parle-t-on ?"

P. 76 : "Il y a aussi des passions à l'oeuvre dans les rapports marchands, juridiques, etc. Mais si on pense à l'ensemble des rapports - c'est à dire d'abord au "rapport" en tant que tel - alors il faut aussi considérer que tout rapport est affectif. Il est acceptation ou refus, assimilation ou rejet, dédire, crainte, identification, préférence."

P. 81 : "dans notre tradition tout commence par un sujet isolé, un individu. Ce n'est que dans un second temps que se pose le problème de la reconnaissance d'autrui. (...)
Dans notre tradition, quasiment personne, d'Aristote et se philia au mythe de Heidegger, ne pense vraiment cet "être en rapport à".

P. 91 : "une sorte d'incapacité, qui est au coeur de notre culture, de commencer à penser dans la séparation, c'est à dire aussi dans le rapport."

Présence, existence, question du sens, ouverture au monde
P. 116-117 : "... la présence (...) au sens où on dit que quelqu'un a de la "présence" ou que certains acteurs ont une "présence" particulière, ce qui veut dire tout le contraire d'une présence qui serait celle d'une chose. (...) On réserve aussi le mot présence à ce qui se passe entre tout le monde ; quand des personnes viennent "en présence", il y a un rapport qui se crée. S'il n'y a pas de rapport, il n'y a pas de présence, car être présent c'est "se présenter" (non pas bien sûr au sens d'une simple mondanité). (...)
Cette présence comme "présence à" demande un geste, et ce geste est soustrait au cours du temps, à la pure succession (...) en un sens, il est éphémère."

P. 125- 126 : (Saint-Just) on se rappelle la célèbre déclaration prononcée devant la Convention : "Le bonheur est une idée neuve en Europe". (...) La vraie nouveauté serait peut-être une pensée du bonheur moins comme contentement que comme possibilité au fond d'affirmer un sens de l'existence qui ne soit justement pas comblé, assuré, ni par un savoir, ni par une révélation ou une grâce religieuse, mais par l'existence elle-même.

P. 128 : "le désir compris (...) non pas comme rapport à un manque mais comme élan de l'existence, comme "poussée de l'être".

P. 129 : "Ce vers quoi l'existence tend, c'est vers le monde et l'être-au-monde, c'est-à-dire vers la possibilité de faire sens. Le renvoi des unes aux autres entre toutes les existences, voilà le sens (...). L'existence désire être au monde et faire monde. (...) " l'homme reste celui par qui s'ouvre la question du sens, la demande de sens. Mais ce sens que l'homme porte "comme tel" (par le langage, par l'art) n'a lui de sens que dans le renvoi de toutes choses à toutes choses. Un monde, alors, ne procède pas d'un besoin - ni de celui d'un être, ni de celui d'un "créateur". Il est sans besoin, il est ceci : que tout est là et demande à être salué en tant que c'est là."
"Le mal c'est précisément de refuser le monde, de vouloir lui substituer un empire - quel qu'en soit le souverain... Cela peut aussi bien être l'empire de l'argent que celui du "moi" ou celui d'un dieu, de la technique ivre d'elle-même ou de la piété ivre d'elle-même. On retrouve toujours cela : les forces centripètes, les autosuffisances. Le monde est centrifuge, erratique, ouvert."






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