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  • François Tosquelles


François Tosquelles est un psychiatre espagnol, né en 1912 à Reus en Catalogne et mort en 1994 à Granges sur Lot.

C'est un des inventeurs de la psychothérapie institutionnelle, mouvement qui, de Saint-Alban à la Borde, a influencé fortement la psychiatrie et la pédagogie depuis les années 1940. Républicain marxiste de sensibilité libertaire, il a commencé à transformer la pratique médicale en Espagne pendant la guerre civile. Condamné à mort par le régime de Franco, il se réfugie en France, le 1er Septembre 1939, à l'hôpital psychiatrique de Saint Alban sur Limagnole, en Lozère. Tosquelles devra recommencer en France toute sa formation, repassant par les statuts d'infirmier, d'interne, pour devenir médecin-chef de l'hôpital de Saint-Alban en 1952.

Les citations ci-dessous sont extraites de deux entretiens avec F. Tosquelles, publiées dans l’ouvrage « Pratique de l’institutionnel et politique » (Éditions Matrice, 1985). Ce livre contient aussi deux autres entretiens avec Jean Oury et Félix Guattari. Elles portent notamment sur la notion d’institution, sur la fonction du langage et de l’écoute, sur l’analyse institutionnelle. Elles concernent principalement une réflexion sur la psychothérapie, mais beaucoup de ces phrases peuvent s’appliquer à une réflexion sur la formation.

Tosquelles :
Il y a de l’institutionnel partout où il y a rassemblement ou convocation répétitive.
Pour moi par exemple, la famille était une institution et le bistrot du coin pouvait le cas échéant le devenir, à condition de pouvoir y rencontrer avec une certaine fréquence les mêmes personnes (p. 121).

C’est en cela – dans la répétition, qu’on peut rendre perceptible les fils d’un tissu fort labile, qui façonne la vie humaine concrète (p. 89).

Question : Les institutions alors, c’est quoi : des mécanismes dérivés, des dérivatifs, des mécanismes de contrôle psycho-politiques ?

Tosquelles : Elles peuvent devenir en effet n’importe quoi ; et en particulier l’usage du langage – qui est une institution – (…) peut devenir un ensemble d’instruments de contrôle, voire de persécution. C’est peut-être devant cette éventualité ou cette fatalité qui fait du langage à la fois un instrument de recherche et d’exploration et un élément de contrôle de soi-même et surtout des autres, que sa maîtrise devient une véritable foire d’empoigne dans le but de disposer du pouvoir de sa distribution stratégique. (p. 94).

La fonction symbolique du langage, ce n’est pas au niveau de la compréhension des messages que ça s’établit, c’est au niveau des partages des signifiants et des rencontres avec d’autres porteurs de l’autre partie, par où quelqu’un trouve ou retrouve alors sa place. Une place ouverte dans un collectif devenu lui-même « corps social » d’accueil, d’appartenance et surtout de reconnaissance ou d’identification mutuelle avec les autres membres du groupe. C’est la fonction des « mots de passe » ou des tessères antiques, partagées en gage de reconnaissance (le sun-bolon). (p. 101).

Une institution ça n’existe pas. Il n’y a point une institution seule. Il n’y a que des institutions en interaction et chaque institution peut venir participer structurellement à des « combinats » divers (…). En quoi on peut dire qu’il s’agit d’un analogon maternel, bien qu’ici (…) tout l’important arrive dans les moments et les lieux de passage entre des institutions diverses. En tout cas ce qui est vrai c’est que nul homme ne peut vivre hors de quelque système institutionnel. (123-124)

Pour moi, et je ne suis pas le seul à avoir dit cela, le langage est une institution, instituée et instituante – peut être la plus vieille des institutions qui ont fait les hommes et leur histoire. C’est pour dire l’intérêt pratique des problématiques du langage dans notre perspective institutionnelle en thérapeutique. (124).

Les rencontres à l’écoute – dans ces groupes de parole ou d’échange – de n’importe quoi, où de toute façon on en parle, par la bouche souvent, mais aussi par des gestes parlants, fournissent pour moi la matière première indispensable à la psychothérapie institutionnelle. (124-125).

Il faut écouter tout au long des formulations, essayant de ne pas couper le débit des discours par des interventions apparemment provoquées ou souvent éclairantes, ou encore « pédagogiques » dans le sens des « bons conseils ». Le sens nouveau apparaît peu à peu et surtout vers la fin du discours. (125-126).

S’il fallait parler d’institution en rapport avec l’orientation des pratiques de Saint Alban, je n’aurais jamais postulé l’existence d’une seule institution isolée et fermée en elle-même. La pratique la plus élémentaire de chacun – malade ou sain – nous offre à la fois témoignage et désir de participation à plusieurs institutions à la fois. Chacun s’inscrit et reçoit l’impact qui transite entre plusieurs institutions. Il y a de la caricature dans ce que j’ai souvent dit en soulignant l’importance formatrice sur les enfants de certains évènements (…) mis en scène sur le chemin qui sépare et unit la maison familiale et l’école ; ou encore je soulignais la portée de « ré-création » spontanée (pas toujours) entre classe et classe. On est toujours membre de plusieurs institutions à la fois et alternativement. On fréquente avec régularité, avec plaisir, avec espoir et déception, diverses institutions. C’est à dire on fréquente à la fois l’espace institué d’origine, l’espace familial, et la chaine d’institutions de son au-delà concret ; celui qui par exemple relie la maison voisine ou la plus lointaine, avec la chaîne institutionnelle que le coiffeur du coin forme avec le bistrot et la gare, le théâtre ou le cinéma. On peut dire que le passage d’un espace à l’autre joue dans le processus de « recréation » singulière permanente en chacun, autant que les échanges attendus, voire facilités dans les espaces institutionnels concrets.

  • (…) La pratique de Saint Alban mettait en scène à la fois plusieurs espaces fréquentables. Chacun de ces espaces, voire chacun de ces divers chemins, en fonction de leurs liens et relais, doit être considéré, de par la fréquentation répétitive, comme de vrais institutions qui jouent dans le processus thérapeutique. (…) Le damier thérapeutique comporte dedans et hors des hôpitaux des dispositifs qui jouent, ou doivent jouer des institutions diverses en interférence. (…)

Dans chaque institution se développent un certain nombre de tensions, pas toujours conflictuellement dramatiques, et qui cependant ne trouvent pas une issue sur place. Le sujet « tendu » sort se détendre ailleurs. En fait, chaque place de la chaîne institutionnelle vécue offre un espace où se « déplace » l’acting-out originé ailleurs. C’est en quoi ce déplacement, ou ce transfert, joue un rôle dans la transformation dynamique de la « tension » plus ou moins insupportable et puis, le cas échant, cela se « socialise » ailleurs. (…)

On ne saurait pas envisager des institutions sans une assise spatiale. Toutefois les espaces institutionnalisés disponibles et prêts à une certaine mobilisation possible des échanges sont de toute évidence des espaces de rencontre avec l’autre homme, c’est à dire avec d’autres hommes plus ou moins reconnus ou à reconnaître. Espaces et marques humaines vont ensemble dans les pratiques institutionnelles. C’est l’espace en question, lui-même, qui devient ainsi l’objet en quelque sorte vaste, d’investissement et de désinvestissement (133-135).

Encore faudrait-il prendre note du fait que toute rencontre avec quelqu’un, même très isolée et très précise, se produit toujours sur fond de présence – et d’absence – de beaucoup d’autres, pas toujours anonymes. Souvent en effet il s’agit d’autres gens connus ou reconnus, souvent attendus, appelés ou même convoqués, c’est à dire évoqués dans cet espace institutionnel concret. Ça fait mémoire, là même, du seul fait de leur existence. La dimension spatiale des institutions comporte toujours une perspective historique. (…) Il s’agit d’un espace où des rencontres ont lieu, dont la dimension imaginaire n’est jamais absente. Et cela avant même que quelque lien symbolique vienne s’y formuler (…). Toute institution joue aussi des exclusions de personnes ou d’objets, ou des exclusions de certains circuits parmi ses mouvements internes à la rigueur possibles. (136).

Notre « objet » ou plutôt nos « objectifs » sont souvent très flous, ou plutôt très ambigus. (…) Un des aspects du travail concret de ce groupe de « soignants » (…) consiste en fait en la reprise permanente dans l’ordre théorique de l’objet même de nos soi-disant soins. Toutefois cette tâche double ne se joue pas seulement sur le plan intellectuel, ou sous la pression des « urgences » pragmatiques. Les groupes, voire ce qu’on appelle les équipes, sont l’objet à la fois de manipulations externes et des tensions internes souvent inconscientes ou plutôt préconscientes qui pour cela n’en sont pas pour autant négligeables. (…)

Je pense aussi à la mise en place de notions diverses de type cannibale ou de la compétition urétrale, surgissant souvent sous le masque caricatural d’un narcissisme désidératif de type pseudo-phallique, mal dissimulé derrière des oppositions idéologiques, ou jouant encore ouvertement de la séduction pour aboutir à la destructivité sadico-masochiste. (142).

D’une part une équipe soignante doit converger dans le même type de délimitation de l’objet et d’intentionnalité de sa démarche. (…) D’autre part, une équipe de travail qui s’est constitué comme un lieu institutionnalisé de psychothérapie doit se convertir aussi en lieu de recherche, dans une direction relativement précise ; sinon ces groupes de travail sont voués à l’autodestruction ou au détournement des véritables enjeux de la psychothérapie au bénéfice de la toute puissance de quelques uns de ses membres, malades ou sains. Ces deux types d’objectifs des groupes soignants doivent coïncider avec ce qui ressort de la pratique journalière des soins. (144).

C’est pourquoi (…) on peut dire que tout ce qui est institutionnel a été l’objet d’une vraie fondation. Il s’agit parfois de l’empreinte d’un personnage. En fait, le plus souvent, il s’agit d’un vrai mythe qu’il convient d’analyser par l’action du groupe lui-même, sans se précipiter dans sa démystification. Les mythes ont leur fonction constitutive qu’il ne s’agit pas de rejeter par la fenêtre imprudemment, comme l’eau du bain avec l’enfant. (145).

Quand n a créé le GTPSI, j’ai proposé une méthode de travail habituelle dans les formations communistes. C’est à dire la mise en texte formel de cinq à six thèses de base pour marquer les directions communes et les points de vue définis par le groupe des « militants » ainsi rassemblés. Ces thèses devant être évidemment revues avec une régularité plus ou moins précise. (146).

Cette bande « d’amis » compromis, il est vrai, dans le travail avec les psychotiques dans des institutions diverses, étaient « motivés », bien sûr, pour mener une tâche de transformation radicale du système asilaire, en vue de la restructuration des types de psychothérapies possibles, centrées évidemment sur la psychanalyse. On devait donc articuler une activité militante auprès des pouvoirs divers en jeu, et une activité conjointe de « défense » et illustration théorique. (148).

La « politique » concrète où l’on baigne et dont on se reprend à articuler quelques passages praticables devient la place même où, dans certaines limites, on peut participer à structurer des « institutions » à fonction soignante. Celles-ci jouent conjointement ou d’une façon isolée à l’accueil et à l’assistance, d’une part, et engagent des mouvements critiques de déblocage des structures figées ou stéréotypées d’autre part. Cela ne va pas sans provoquer des réactions diverses, parfois déclenchées en série parmi les divers groupes sociaux concrets ou les institutions où le malade reste en fait à la fois branché et exclu. (154).

Le travail concret d’analyse et d’évaluation de la portée de la structure locale temporellement déterminée, celle des systèmes de défense ainsi colportés ou réveillés par la « politique » des groupes et des institutions coexistentes avec les nôtres – c’est à dire incidentes avec le champ opératoire de nos activités à visée thérapeutiques – nous l’avons appelée « analyse institutionnelle », à ne pas confondre avec les tâches de psychothérapie institutionnelle qui elles se jouent avec les malades. Faut-il institutionnaliser, dans chaque groupement de soignants agissant dans un même hôpital, ou dans le même secteur concret, une équipe ou un lieu attaché à cette « analyse institutionnelle » ? Nous le croyons… Sans analyse institutionnelle, la psychothérapie institutionnelle parfois entreprise est toujours automatiquement et systématiquement détruite… C’est dans ce sens qu’on peut parler d’analyse politique… (155).

(Les circuits de l’argent et des choses) la mouvance économique donne une des meilleures « bonnes formes », je veux dire des plus lisibles et significatives de tout le champ… Les traits dessinés par la mouvance monétaire et la mouvance des objets, dans le champ institutionnel calquent des lignes de force qui structurent le champ opératoire dans son ensemble. Il y a là, il est vrai, une perspective en quelque sorte déshumanisée, un espace vide, pour ne pas dire mort, où seulement les investissements concrets redonnent la vie. Ce sont les circuits de la parole qui viennent alors là, dans une fonction de relais, doter ces signes d’un nouveau souffle humainement significatif. (…).
On peut dire que rien n’advient au sens qu’à ce niveau de la praxis langagière des hommes. (161-162).









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