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Création


Pour définir ce concept et ouvrir une réflexion sur ce que pourrait être son apport pour nous aider à penser la translaboration formative, je prendrai appui sur de courts extraits de deux ouvrages : le premier, de Paul Audi aborde la question (vitale) de la création à l'échelle de l'individu, le second, de Cornélius Castoriadis, à l'échelle collective des sociétés.


Paul AUDI : Créer (Encre marine, 2005)

Dans ce livre Paul Audi développe une réflexion sur la création, dont il donne une première définition :
cet acte qui se situe à l'origine de l'existence d'une chose qui n'existait pas auparavant sous la forme ou la figure que sa manifestation lui confère. (p.19)

Il définit son approche par le terme « esth/éthique », qui désigne toute problématique dont le développement vise à dégager les conditions tout à la fois subjectives et objectives, historiques et psychologiques, dans lesquelles il paraît légitime d’admettre l’unité, ou tout au moins l’alliance possible, de ces deux grandes dimensions de l’esprit que sont l’éthique et l’esthétique (p.26).
Il ajoute qu’il s’agit là d’une affaire à la fois occidentale (euro-occidentale) et moderne (…) puisque liée à ces deux traits de civilisation que sont : d’une part (a) la valorisation et l’autonomisation de « l’individu » (ces traits ont donné naissance aux notions d’ »auteur », d’ « authenticité » et d’ « originalité de la création ») ; et d’autre part (b) la dissociation de l’artistique et du religieux… (p.28).

Ainsi l’idée qui s’est imposée à moi sans réserve, c’est qu’il faut (de) la création. Il faut créer : tel est le principe dont la théorie esth/éthique construit l’axiomatique. « Il faut » au sens de ce qui est requis par la vie pour qu’elle vive (…) pour qu’elle puisse se réjouir de la puissance d’agir qu’elle est et, ainsi, persister dans son être…
(p. 47).

Il n’est plus du tout question de voir dans l’acte créateur un simple processus de « production » liant une certaine forme à une quelconque matière, mais une décision fondamentale où se décide un pur rapport au possible, où s’accomplit une relation entre soi et soi-même à laquelle il appartient d’ouvrir le champ des possibles et de l’instituer comme tel… (p.53).

L’art en général devant lui-même se définir comme l’ « expérience créatrice » de cette « puissance » en perpétuel devenir qu’est « la vie-même. » (p.53).

Cette époque, la nôtre, est donc celle où les philosophes ont la possibilité de tourner le dos à la métaphysique (au « monde vrai » de la vérité) et de s’assumer pleinement en tant que créateurs, voire en tant qu’artistes et créateurs
(p. 54).

Une conception créative de la formation, s'oppose à vision routinière, reproductive, adaptatrice ; elle vise à "ouvrir le champ des possibles" et se définit comme instituante : tant dans ses formes (activités, dispositifs) que dans ses contenus (au-delà des savoirs institués, des cloisonnements disciplinaires, se confronter à la complexité et à l'incertitude de la recherche).

Voir aussi : et Imagination


Selon Castoriadis, l’auto-institution (ou autocréation de la société) et l’auto-altération (ou historicité) sont les deux processus qui manifestent l'imaginaire social instituant - cette dimension collective de la création que l'on peut voir comme l'équivalent de la translaboration formative, processus d'autopoièse à l'échelle de la personne...
Voir ci-dessous un extrait de son texte :

C. Castoriadis, Héritage et révolution, in Figures du pensable, Seuil, 1999 (pp. 129-144)

L’histoire humaine est création. Elle est, avant tout, autocréation sous tous ses aspects, séparation de l’humanité de la pure animalité, une séparation à la fois jamais achevée et insondable. Cette autocréation se manifeste par la position de formes d’être sans équivalents, « modèles » ni « causes » dans le monde pré-social. Ces formes sont le langage, les outils, les normes instituées, les significations, les types anthropologiques, etc. (…)
Ces faits élémentaires – l’autocréation de l’humanité, l’auto-institution des sociétés – sont presque toujours et presque partout masquées, dissimulés à la société par son institution même. (…) Le caractère hétéronome de l’institution de la société réside dans le fait que la loi sociale n’est pas posée comme création de la société, mais perçue plutôt comme ayant une origine hors d’atteinte des être humains vivants. Telle est la source du caractère religieux de l’institution de presque toutes les sociétés connues ainsi que du lien quasi indissoluble entre religion et hétéronomie. L’institution de la société a trouvé le garant de sa légitimité ainsi que sa protection contre la contestation interne et la relativisation externe dans la représentation instituée d’une origine extra-sociale de cette institution. « Dieu nous a donné nos lois, de quel droit voudriez-vous les changer ? » (…)
Les bipèdes nouveaux-nés ne deviennent des individus sociaux qu’en intériorisant les institutions sociales existantes.
Il aurait dû en résulter qu’un ordre social, une fois créé et à l’abri des facteurs extérieurs durerait éternellement. Nous savons qu’il n’en est rien. (…) les sociétés sont toutes, à des degrés divers, historiques au vrai sens du terme, c’est à dire définies par l’auto-altération. (…)
Les institutions sont en réalité faites de significations socialement sanctionnées et de procédures créatrices de sens. Ces significations sont essentiellement imaginaires – et non pas « rationnelles », « fonctionnelles » ou « reflets de la réalité » -, ce sont des significations imaginaires sociales. Elles ne peuvent être effectives et effectivement vivantes qu’aussi longtemps qu’elles sont fortement investies et vécues par des êtres humains. (…)
Les êtres humains se définissent avant tout, non par le fait qu’ils sont « raisonnables », mais par le fait qu’ils sont pourvus d’une imagination radicale. Cette imagination doit être domptée et maîtrisée par le processus de fabrication sociale, qui d’ailleurs n’est jamais complètement achevé comme l’atteste l’existence de la trangression dans toutes les sociétés connues. (…)
L’occultation de l’auto-institution (de l’autocréation de la société) et celle de l’auto-altération (de l’historicité de la société) sont les deux faces de l’hétéronomie sociale (pp. 134-135).

De même, l'autonomie de la personne et le statut de sujet (d'auteur), de créateur du sens de sa vie, de son parcours biographique, suppose une réflexion critique et une lutte contre les conditionnements, et les idées reçues.
C'est aussi une condition de la santé, si l'on en croit une définiton qu'en donne Canguilhem (2002, p.68)
: "Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter des choses à l'existence et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi". On ajoutera une dernière indication :il nous semble très heuristique de rapprocher cette acception de la notion de santé de la notion de créativité que l'on trouve dans l'oeuvre de Winnicott (...) Pour cet auteur, vivre de manière créative, c'est tourner le dos à une relation de soumission à la réalité extérieure. Celle-ci n'est pas alors vécue sur le mode d'une adaptation passive, mais sur celui d'une appropriation active à travers les efforts du sujet pour y inscrire la marque de son activité propre, sa signature en quelque sorte, matérialisée par les oeuvres qu'il réalise. Ces rapprochements rapidement opérés (...) nous permettent de soutenir l'hypothèse que la créativité, la santé et l'efficacité du travail auraient des ressorts communs, ressorts qui entretiennent le dynamisme du pouvoir d'agir du sujet. (D. Faïta et S. Saujat, in F. Yvon et F. Saussez "Analyser l'activité enseignante", PU Laval, 2010, p.47).


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