Nelson Goodman : faire des mondes

Le philosophe américain Nelson Goodman a suggéré que le monde s’appréhende comme un ensemble de mots et de symboles. Au lieu d’être un donné, le monde se présente comme une construction, ou plutôt une perpétuelle reconstruction au gré de la culture et de l’histoire des humains. Parmi eux, les philosophes, les scientifiques et les artistes procèdent activement à sa « reconception » et en proposent différentes versions.

A propos de la relation ente le monde réel et la fiction, dans le roman, Tiphaine Samoyault (dans la revue Romantisme 2/2007, n° 136, p. 95-104) écrit :

La question, dès lors, n’est plus : de quoi est fait ce monde ? mais : est-ce un monde ? ou bien quand y a-t-il monde ? À saisir le problème en terme de fiction, on est toujours pris dans une logique de la différence ou de la distinction qui rend la notion de monde soit analogique, soit inadéquate. La pensée de Nelson Goodman [1] semble confirmer cette hypothèse puisque les « versions » du monde offertes par la fiction ne sont mondes que par différence. Mais l’intérêt de la réflexion de Goodman pour la catégorie de roman-monde tient au fait qu’il insiste sur la capacité référentielle de ces mondes et sur leur fonction pour la connaissance. « Qu’elle soit écrite, peinte ou agie, la fiction ne s’applique alors véritablement ni à rien, ni à des mondes possibles diaphanes, mais aux mondes réels, quoique métaphoriquement. »  Elle participe en cela à la construction de mondes réels. En dégageant la fiction de la question du possible, Goodman permet de penser le roman-monde non comme celui qui veut livrer une représentation totale du monde, ni comme celui qui tente de relayer cette totalité impossible par la construction d’un monde parfaitement autonome dans le langage, mais celui qui contribue à construire (to make) le réel, c’est-à-dire la connaissance que l’on peut avoir du monde. La fiction n’est pas le monde, mais une manière de faire monde quand par « faire monde », il faut entendre la mise au jour d’une compréhension, d’une vérité d’ordre métaphorique.
URL : www.cairn.info/revue-romantisme-2007-2-page-95.htm.

A côté du roman, de la fiction, la recherche est une autre façon de faire monde, de construire la réalité, avec ses instruments conceptuels visant à produire une vérité d’ordre scientifique. (Voir aussi la distinction entre la réalité et le monde chez Boltanski (De la critique, Gallimard, 2009, p. 93)

Voir aussi : Nelson Goodman : La fabrique des mondes 
http://www.seroux.be/spip.php?article181


[1] Nelson Goodman, Manières de faire des mondes, trad. de l’anglais par Marie-Dominique Popelard, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1992. (Paris, Gallimard, 2007)