Le français n’existe pas (Myriam Suchet)

Le français n’existe pas.

Du moins il n’existe pas sans toi, et moi, et elles, et eux, et vous et nous qui parlons, écrivons, chantons, sacrons, conversons, discourons…

C’est de chacune de nos paroles que « la langue » est faite, défaite et refaite : fête !

Les guillemets, ici, visent à rappeler le caractère construit, non naturel, des parois du bocal linguistique.

Or cette évidence ne cesse d’être escamotée, parfois par des institutions garantes de la stabilité ou de la pureté linguistique (comme l’école, le dictionnaire ou l’Académie), parfois de façon involontaire.

Au contraire, certains textes, notamment littéraires, ravivent l’ouverture à même « la langue» : ils invitent à lire le « s » de français comme une marque de pluriel.

La recherche qui commence ici prend son impulsion dans la lecture de ces textes que je dirai « hétérolingues » .

Le choix de ce terme permet d’indiquer qu’il ne s’agit pas d’additionner une langue « x » + une langue « y » + une langue « z » (ce que ait le pluri- ou le multi-linguisme qui promeut la diversité), ni d’enrichir le trésor d’une Francophonie dont la France resterait le centre, mais de travailler les différences internes à toute langue, de prendre acte des hétérogénéités qui constituent chacune d’entre elles (ce qui est vrai pour « le français » l’est de la même manière pour « l’anglais » , « le japonais » , « l’africain » ou « l’inuktikut » .

Chaque texte littéraire sera analysé, mis en relation avec des textes théoriques, et aussi proposé comme une source d’inspiration pour des artistes numériques, qui seront convié.e.s à créer une oeuvre inédite. La littérature numérique, qui n’est pas la simple mise en ligne de textes originairement publiés sur papier, ouvre nos lectures à des dimensions non linéaires, dés-autorisées, simultanées, interactives, hypermédiales.

L’ensemble de cette bibliothèque nourrira un kit (ou « malette-ouvroir » ) de désapprentissage de « la langue » , destiné à outiller ceux qui travaillent à enseigner un français dit « langue étrangère » et qui s’efforcent, souvent de manière bénévole, de le traduire en langue d’accueil et de partages – au pluriel, résolument.

De la même manière que « la langue » n’existe qu’au gré des paroles qui la font et la défont, cette enquête ne pourra s’élaborer qu’en se tramant de voix, d’accents, d’apports de toutes sortes. Les bribes de citations enchâssées ça et là indiquent combien ce que j’écris emprunte déjà à d’autre paroles.

Vous êtes donc invités à intervenir et à contribuer sous la forme et avec le degré d’implication qui vous conviendront : suggérer un texte, en commenter un autre, proposer une mise en résonance avec une oeuvre plastique ou musicale, partager une référence théorique, poser une question pédagogique ou suggérer une reformulation… Un peu d’indiscipline et à vous de jouer !

Car l’universiTerrien est à réinventer et cette recherche sera ce que nous en ferons ensemble.

Myriam Suchet : Appel et note d’intention. Traduire du français au français. Livret d’une recherche en cours. Institut Universitaire de France. 2021.