Se mettre en recherche c’est donc être en mesure de voir et sentir ce à quoi nous n’aurions pas nécessairement porté attention, soit parce que cette chose (expérience, collectif, situation) serait dans l’angle mort de nos réalités ou, au contraire, parce que nous la jugerions trop banale, ordinaire, quotidienne. Il s’agit donc à la fois d’être attentif et sensible aux expériences mineures, celles qui nous décalent de notre quotidien et, en même temps, à celles, tout à fait ordinaires, que nous ne cessons de croiser sans avoir pour autant l’habitude de les questionner, une manière de replacer le politique au centre de notre vie de tous les jours. Ces deux approches dessinent l’espace dense et multidimensionnel de nos situations de recherche, une écologie de l’attention qu’il nous faudra cultiver collectivement.

Après avoir dit cela, il faut ajouter une chose qui me parait centrale, la chercheuse ne doit pas être la seule à détenir le pouvoir de valoriser-visibiliser les expériences. Cela rejoint la question que nous évoquions précédemment, « comment écrire des expériences sans déposséder les premier.es concerné.es ? ». En effet, si la chercheuse se place dans une situation où elle est la seule à prendre voix, à écrire et donc, d’une certaine manière à détenir un récit, une analyse, une situation, au moment où celle-ci est rendue publique, elle risque à la fois de déposséder les personnes qui n’auront pas pris voix avec elle, mais aussi d’invisibiliser à son tour tout ce qu’elle n’aurait pas vu, compris, appris, ou ce qui n’aurait pas trouvé place dans son texte. Ainsi, introduire des dispositifs de co-écriture (type fanzine) et des moments de co-élaboration des récits-réflexions-analyses est déjà un premier geste, un engagement épistémologique et méthodologique, pour se défaire du privilège de la valorisation-visibilisation, une manière de la collectiviser.

Louis Staritzky La recherche comme expérience(s). Chronique d’un atelier étudiant de recherche-action à Saint Denis. Ours éditions. 2022.