La haine (Günther Anders)

Plus vrai que le célèbre « principe ergo » de Descartes, il y a cet autre, vulgaire, quasi universellement reconnu : « Je hais donc je suis. » Ou plus précisément : « Je hais donc je suis moi. » Ou finalement : « Donc je suis quelqu’un« .

En effet, la haine n’est pas seulement la forme première (pré-théorique) de la négation, elle n’est pas seulement le plaisir anticipé (sadique) d’anéantir l’autre, mais simultanément aussi l’affirmation de soi et la constitution de soi par négation et destruction de l’autre. A tout le moins aussi juste que le principe de Fichte, le moi pose le non-moi, il y a celui énonçant que le moi se « pose » lui-même par l’anéantissement du non-moi. (p. 33-34).

Temps de bonté que ceux où les guerriers se menaçaient et s’abattaient les uns les autres, où les guerres étaient conduites encore par des gens capables de haine. A tout prendre, ces gens-là étaient encore des humains. Et ceux qui se haïssaient mutuellement pouvaient à la rigueur cesser un jour aussi de haïr ; et par là cesser aussi de combattre ; et par là cesser aussi d’anéantir ; ou peut-être même commencer à s’aimer.

En revanche, les ordinateurs ne peuvent arrêter le combat, puisque ne les habite aucune haine qu’ils puissent remiser.Pour ne rien dire de l’amour.

La fin de la haine pourrait bien signaler la fin de l’humanité, parce qu maintenant ce ne sont plus nous les hommes qui combattons les hommes (…)

Mais si certaines « figures de Fürer » estiment, même dans de telles conditions, devoir encore fabriquer une haine devenue superflue, c’est soit par pure bêtise, soit par vulgaire ruse : parce qu’ils savent en effet que des millions de gens aiment haïr afin de s’assurer de leur être. (p. 96-97)

Güther Andres : La Haine, Payot et Rivages. Rivages Poche, 2009 (édition originale en Allemand, 1985)