Chakrabarty : Politique de l’espèce humaine en temps de crise planétaire

 

Le temps géologique de l’Anthropocène et le temps de nos vies quotidiennes dans l’ombre du capital s’entremêlent. Le géologique traverse et excède le temps historique humain. (p.39)

 

Nous savons que les humains, outre qu’ils sont une somme arithmétique du nombre total d’humains sur la planète, sont aussi une espèce biologique, Homo sapiens, mais habituellement on ne prête aucune importance politique particulière à ce savoir. Toutefois, quand pour la première fois de toute son histoire la biodiversité dans le monde affronte la sombre perspective d’une « grande extinction » entrainée par les activités d’une espèce biologique, Homo sapiens, on commence à saisir qu’il est urgent de créer un sens politique fondé sur cette seconde compréhension de nous comme espèce profondément inscrite dans l’histoire de la vie. (p. 237)

 

La conscience de l’époque est en fin de compte éthique. Elle concerne notre façon de nous comporter à l’égard du monde que nous contemplons dans un moment de crise globale – et maintenant planétaire. C’est elle qui soutient nos horizons d’action. J’offre donc les pages qui suivent dans un esprit de dialogue avec le lecteur. Comme l’écrit Jaspers, citant Nietzsche, « la vérité commence à deux. » (p. 354)

Dipesh Chakrabarty. Après le changement climatique, penser l’histoire. Gallimard, 2023.

 

Vivre seuls ensemble (Tzvetan Todorov)

(A propos d’Eward Saïd)

Au cours de ces mêmes années (1970) je poursuivais un travail parallèle sur le regard que les ressortissants d’une culture portent sur ceux d’une autre, donc sur l’unité et la pluralité intérieure de l’espèce humaine, travail dont sont issus mes livres La conquête de l’Amérique et Nous et les autres. (p. 26)

L’intellectuel  est d’abord celui qui ne se contente pas d’être le spécialiste de tel ou tel domaine, mais intervient dans la sphère publique, qui parle du monde et s’adresse au monde. (p. 34)

(Et à propos de l’exil) L’homme « dépaysé » qui émerge de cette expérience n’est toutefois pas un autochtone de plus : il ne renonce pas entièrement à son identité antérieure mais participe simultanément de deux cadres de référence, sans s’identifier pleinement à aucun. Cet individu voit chacune de ses cultures à la fois du dedans et du dehors, ce qui lui permet d’échapper à leurs automatismes et de les examiner d’un regard critique. (p. 35) Lire la suite

La haine (Günther Anders)

Plus vrai que le célèbre « principe ergo » de Descartes, il y a cet autre, vulgaire, quasi universellement reconnu : « Je hais donc je suis. » Ou plus précisément : « Je hais donc je suis moi. » Ou finalement : « Donc je suis quelqu’un« .

En effet, la haine n’est pas seulement la forme première (pré-théorique) de la négation, elle n’est pas seulement le plaisir anticipé (sadique) d’anéantir l’autre, mais simultanément aussi l’affirmation de soi et la constitution de soi par négation et destruction de l’autre. A tout le moins aussi juste que le principe de Fichte, le moi pose le non-moi, il y a celui énonçant que le moi se « pose » lui-même par l’anéantissement du non-moi. (p. 33-34). Lire la suite

Fragilité et puissance de la parole

Quelques extraits de :

L’événement de parole: expérience de la voix et construction de soi – Perspectives subjectives, rêveries, cheminement autour de la parole (et du poème)

Nathalie Brillant Rannou

Publié le 5 février 2017 http://autolecture.hypotheses.org/69

« La parole requiert pudeur, prudence, c’est un sujet qui touche au sacré, à l’intime, au plus vibrant de notre identité et de notre relation à l’Autre. (…)

Je voudrais interroger la parole en tant qu’expérimentatrice, en tant que lectrice. Ou plutôt en tant que lectrice qui s’interroge aussi sur la lecture, la littérature, les arts des mots… les arts de … la parole. Je voudrais donc réfléchir à la parole du point de vue de son expérience. Or « faire l’expérience de la parole », qu’est-ce que cela recouvre ? De quoi cela se distingue ? En quoi est-ce désirable ? Redoutable ? Profitable ? Fondateur ? Et de quoi ? De façon plus personnelle et intime je me demande : de quelle parole sommes-nous faits ? Sommes-nous disponibles à la parole, laquelle, lesquelles ? De quelle parole relève notre humanité (quand nous ne sommes pas dans un rapport utilitaire, de pouvoir, de représentation, de marchandage, d’usages truqués entre nous) ? Lire la suite

du chaos à l’humanisation

« Cette période de chaos peut être aussi, comme tous les grands bouleversements, l’occasion d’un saut qualitatif dans l’histoire de notre humanisation. A condition d’allier « l’optimisme de la volonté » au « pessimisme de l’intelligence », comme le proposait Gramsci (…). Il nous faut être tout à la fois totalement lucides sur l’ampleur des risques et capables de construire une nouvelle espérance sur la base des forces de renouveau qui ont commencé à émerger au cours des dernières décennies. »

P. Viveret. La cause humaine. Du bon usage de la fin d’un monde. Les Liens qui Libèrent. 2012, p. 28

Ce mot : humanité

J’ai l’impression qu’on ne cesse de comprendre et de prendre la mesure de la signification de ce mot : humanité.

7 mars 10:43, par Isabelle Pariente-Butterlin
http://www.auxbordsdesmondes.fr/spip.php?article2123#forum5944
Et aussi :

il suffit de lever nos regards vers les vagues immémoriales, de revenir aux vagues immémoriales, de revenir à elles pour revenir à soi, et de suivre le vent et les rafales de lui sur le bleu ulysséen de la mer. Le bleu turquoise, le bleu intense, le bleu ulysséen, le bleu immémorial, le bleu pur de tout renoncement à l’exigence duquel nous tenir. Obstinément. Jusqu’à l’extension rêvée, impression rêvée, au-delà des limites-mêmes du monde, extension rêvée, redevenue possible, suivre les rafales de vent nous traversant de la présence du monde et du bonheur pur d’être.N’est-ce pas à cela qu’il faut nous tenir obstinément, résolument, bonheur pur d’être, nous, êtres imparfaits et défaillants dans un monde bouleversé, mais tout de même et quoi qu’il en soit, néanmoins dans ce monde, sans que ce monde ne puisse nous ôter cela : bonheur pur d’être et de vivre.Puissions-nous nous retenir de nos mains aimantes à tout ce qui nous en assure.

Isabelle Pariente-Butterlin

Recomposition en cours Fragments 20

http://www.auxbordsdesmondes.fr/spip.php?article2125

Deux idées étrangement proches : l’individu et le paysage

« Aujourd’hui où l’échelle imposée devient mondiale, la vertu du paysage, face à cette ubiquité abstraite, est de relocaliser : non pas en repliant illusoirement dans un particularisme compensateur et pittoresque, mais en réinscrivant du Singulier. Si ce qui fait paysage est qu’il contient le tout du monde, mais sur un mode unique, ce local lui-même est global, en ne cessant de mettre en interaction et de faire communiquer. Et peu importe que le paysage soit fait alors de rues ou bien de vallons, de cités ou de forêts… »

François Jullien : Vivre de paysage ou l’impensé de la raison. Gallimard. 2014, p. 248

Je découvre ce passage alors que je viens d’écrire, en commentant Edgar Morin (2001) : « selon lui, l’humain se définit par trois notions complémentaires et inséparables, alors même qu’elles paraissent s’opposer : l’individu, la société et l’espèce humaine. Leur relation est « dialogique », en ce sens qu’elles se répondent : l’espèce est faite de tous les individus, mais, dans chaque individu, il y a tout ce qui fait l’espèce humaine…  » En ligne : http://www.translaboration.fr/wakka.php?wiki=TransformatioN

Je suis frappé de voir à quel point ces deux idées se répondent : « ce qui fait paysage est qu’il contient le tout du monde, mais sur un mode unique » ; ce qui fait un individu, un être humain, est qu’il contient tout ce qui fait l’humanité, mais sur un mode unique.

Quatre citations : qu’est-ce que l’homme, l’individu ?

« Feuerbach résout l’essence religieuse en l’essence humaine. Mais l’essence de l’homme n’est pas une abstraction inhérente à l’individu isolé. Dans sa réalité, elle est l’ensemble des rapports sociaux ».

K. Marx. Ad Feurbach, 1845.

« nous assistons à chaque instant à ce prodige de la connexion des expériences, et personne ne sait mieux que nous comment il se fait puisque nous sommes ce noeud de relations. »

M. Merleau-Ponty. Phénoménologie de la perception. Gallimard. 1945. Avant-propos, p. XVI.

 » L’homme n’est rien d’autre que son projet, il n’existe que dans la mesure où il se réalise, il n’est donc rien d’autre que l’ensemble de ses actes, rien d’autre que sa vie. »

J.P. Sartre. L’existentialisme est un humanisme. Gallimard, 1996. p. 51. (Première édition Nagel, 1946)

« L’individu n’est au fond que l’intersection de composantes institutionnelles. Même ses rêves sont institutionnels, branchés sur des films, des séquences télévisuelles ; tout cela, c’est de l’institution ! »

Félix Guattari. Qu’est-ce que l’écosophie ?
Lignes IMEC, 2013 (1985), p. 228.