Extraits de « Brouhaha » de Lionel Ruffel

« Il faudrait élargir notre notion d’expérience esthétique, la retrouver dans celle des microcommunautés, des petits groupes, (…) de l’attention à l’autre (le care), qui ménagent des moments de réponse à la crise de l’attention. » (p. 73).

« Il y a bien deux voies d’études des phénomènes contemporains : l’une supposant une prise de distance, un surplomb, un détachement, une abstraction, mais aussi une distinction ; l’autre « embarquée », contemporaine dans le troisième sens du terme (camarade du temps), compositionniste, matérialiste, égalitaire, qui accepte le risque de l’aveuglement. » (p. 89).

« S’il est un point commun à l’ensemble de ces transformations,c’est que l’on passe d’une représentation et donc d’un imaginaire du littéraire centré sur un objet-support: le livre, à un imaginaire du littéraire  centré sur une action et une pratique : la publication. » (…) « il est nécessaire de se demander quel imaginaire politique produit la pluralisation de l’idée de publication. » (p. 107-108).

« Dans les luttes de définition sur le présent, le curseur se déplace des contenus aux positions d’énonciation, aux prises de parole, aux légitimités. Ce n’est en aucun cas un formalisme. Avant toute déclaration, quelle qu’elle soit, il faut d’abord se demander qui parle, avec quelle autorité, en faisant quel usage de la parole, car les exclusions premières sont celles qui portent sur le discours. » (p. 125).

Lionel Ruffel : Brouhaha. Les mondes du contemporain. Verdier. 2016.

 

Dispositifs

« Les outils de gestion, les procédures, les référentiels, les instruments comptables, les systèmes d’information et de communication sont autant de dispositifs qui canalisent l’activité, définissent des lignes de conduite, encadrent la production, induisent les comportements. Les dirigeants de proximité sont chargés d’appliquer ces dispositifs sur le terrain, mais ils ont peu de pouvoir pour les ajuster, les modifier – encore moins pour les éliminer quand ceux-ci produisent des effets néfastes à la production. Ils s’épuisent à tenter d’en limiter les dégâts afin que la production se fasse malgré tout. Il faut que « ça marche », même si pour ce faire on doit détourner les règles, ruser avec les procédures, maquiller les résultats, tricher avec les règlements. (…)

Ces dispositifs induisent des façons de faire et de penser, des comportements qui s’imposent même s’ils ne sont pas adéquats, même s’ils deviennent un empêchement au travail réel en rendant celui-ci plus difficile, même s’ils mettent le travail et les travailleurs en souffrance. Il y a là la genèse structurelle d’une organisation paradoxante. »

V. de Gaulejac et F. Hanique : Le capitalisme paradoxant, Seuil, 2015, p. 124

Une société « paradoxante »

« Les changements auxquels nous assistons depuis quelques décennies conduisent à une exacerbation des contradictions, une radicalisation des enjeux, un bouleversement des représentations, dont le sens échappe aux paradigmes habituellement utilisés par les sciences économiques et les sciences sociales (…)

Cet ouvrage se propose d’explorer la genèse et la mise en oeuvre de cet ordre paradoxal : pourquoi et comment les contradictions se transforment en paradoxes, comment les individus et les groupes réagissent à ce mécanisme qui parait global, quelles sont les formes de résistance qu’il suscite, les réactions défensives qu’il entraine et les mécanismes de dégagement pour « s’en sortir ».

V. de Gaulejac et F. Hanique : Le capitalisme paradoxant,Seuil, 2015, p. 16