rendre à l’avenir ce qui nous a été légué par le passé

Si la finalité dernière de l’anthropologie est, comme je l’ai dit, non pas documentaire, mais transformationnelle, il nous appartient de rendre à l’avenir ce qui nous a été légué par le passé. Que valent les transformations personnelles si elles s’achèvent avec nous, si nous mêmes ne poursuivons pas le processus de transformation réciproque des autres et du monde ? Enseigner, c’est honorer notre engagement en rendant au monde ce que nous lui devons pour nous avoir formés.

Tim Ingold : Faire.Anthropologie, archéologie, art et architecture. Ed. Dehors, 2017, p. 48

la relation entre le concevoir et le faire

Les chasseurs rêvent souvent d’animaux avant de les croiser. Les artistes, architectes musiciens et écrivains sont eux aussi à l’affût de visions fugitives d’une imagination qu’ils s’efforcent de capturer pour pouvoir les mettre sur le métier et les travailler. Tout comme les chasseurs, eux aussi s’ingénient à capturer les rêves. Tous les efforts humains, semble-t-il, sont tendus entre la capture des rêves, d’une part, et le travail des matériaux, d’autre part. Dans cette tension entre l’attraction des espoirs et des rêves et le frein des contraintes physiques ( et non pas dans l’opposition entre réflexion savante et exécution mécanique) se noue la relation entre le concevoir (design) et le faire (making). C’est précisément au point où l’imagination se frotte aux aspérités de la matière, et où les forces de l’ambition doivent se mesurer à la dure réalité du monde, que l’existence humaine est vécue.

Tim Ingold : Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture, Ed. Dehors, 2017, p. 164-165

connaître est en soi-même un mouvement (T. Ingold)

A propos de son apprentissage lorsqu’il était un jeune anthropologue, Ingold écrit :

« La seule manière de véritablement apprendre quelque chose – en l’apprenant de l’intérieur – est de l’apprendre en le découvrant par soi-même. (…)

La simple possession d’une information ne suffit pas à l’élaboration d’une connaissance, et garantit encore moins que celui à qui on les transmet comprendra de quoi il retourne. Les choses sont toujours plus faciles à dire qu’à faire (…)

Comment en vient-on à apprendre ? Pour faire court, je dirais que c’est en regardant, en écoutant, en sentant, en faisant attention à ce que le monde a à nous dire. Mes compagnons ne m’ont rien dit sur ce qu’il y avait à voir, à entendre, etc., ils n’ont rien fait pour m’épargner la peine d’avoir à apprendre par moi-même. Ils m’ont bien plutôt montré comment je pourrais le découvrir. Ils m’ont appris ce qu’il fallait chercher et comment pister les choses ; ils m’ont appris que tout acte de connaissance est un processus d’accompagnement actif qui consiste à se mettre en chemin avec ce que l’on cherche à connaître. Ces personnes avaient toujours vécu de la pêche, de la chasse et de l’élevage de rennes. C’était pour elles une seconde nature de penser que nul ne connait qu’en cheminant avec ce qui doit être connu et que le mouvement n’est pas seulement un moyen pour accéder à la connaissance, mais que connaître est en soi-même un mouvement. (…)

Aujourd’hui, avec le recul, je mesure tout ce que ma réflexion et mes choix théoriques en faveur de telle philosophie plutôt que telle autre doivent à cette façon de voir. »

Tim Ingold : Faire. Anthropologie, archéologie, art et architecture. Ed. Dehors, 2017, p.19-20