W. Benjamin : l’université, le langage et l’esprit

Il s’agissait alors d’assurer l’autonomie d’une université aliénée par l’Etat, la famille ou la profession, en l’accordant à sa finalité interne, à l’esprit. Ceci suppose que l’esprit n’obéisse lui-même  qu’à sa propre loi, le langage, auquel, dès ses premiers travaux Benjamin l’identifie.

Philippe Ivernel « Walter Benjamin Critique en temps de crise » Klincksieck, 2022 (p. 44).

« institution » Daniel Hameline

 

Pourquoi qualifier une pédagogie d’«institutionnelle»? J’étais spontanément habité, comme n’importe qui, par un terme, passé dans la langue courante, celui des «institutions». De ces institutions, l’école fait partie. En ce sens, toute pédagogie n’est-elle pas «institutionnelle»? L’école est, en effet, dans une société moderne, une de ses institutions les plus fondamentales, avec les caractères que semble revêtir toute institution : pérennité (comme si elle était «déjà là» depuis toujours!) et donc priorité d’importance et d’ancienneté sur les personnes et les groupes, autorité anonyme et, le plus souvent, lointaine, légitimité allant de soi quoiqu’il arrive dans les faits.

Les évènements de 1968 eurent la réputation d’avoir ébranlé ces institutions, d’avoir mis à jour leur sclérose, leur enflure bureaucratique inévitable, la tendance à devenir à elles-mêmes leur propre but et à s’inscrire dans la durée pour la durée, non pour le service qu’elles sont censées rendre. Et voilà qu’une pédagogie, plutôt réformatrice, voire révolutionnaire, était qualifiée, dès avant 1968, d’«institutionnelle».

Pour comprendre le choix de ce qualificatif (…), je vais vous imposer un bref passage par une réflexion sémantique, dont je vous prie d’excuser les risques de pédanterie. Le Français – la Langue française – est un usager impénitent du suffixe «tion». Ainsi le verbe «instituer» donne comme substantif «institution». J’«institue» peut se dire aussi «j’effectue une institution», «je suis en train d’instituer». Remarquez alors ce point capital : le verbe «instituer» est ici un verbe actif. Mais surtout le substantif qu’il engendre l’est tout autant, actif: qu’est-ce que l’institution? C’est l’acte d’instituer. Bien sûr, le mot «institution» va vite prendre un sens passif pour désigner le résultat de l’acte d’instituer. C’est là que le français nous trahit. Car ce sens passif nous fait oublier le sens actif du mot et donc de l’adjectif qui lui correspond: une pédagogie peut être dite «institutionnelle» quand elle permet aux acteurs et actrices de l’acte éducatif de poser ensemble, maitres/maitresses et élèves, l’acte même d’instituer. Et cet acte d’instituer consiste à donner à un projet collectif, un site, un statut, des modalités d’existence assumées et acceptées (une loi commune?), et surtout une durée, toutes caractéristiques appelées à ne pas devenir une «institution» au sens passif du terme.

 

Daniel Hameline, Colloque «Soigner le milieu. Actualité et fécondité de la pédagogie institutionnelle.» organisé le 3 décembre 2022 à l’Université de Genève.

Revue Educateur Numéro 2 Février 2023 <https://www.le-ser.ch/educateur>