Transformer son indignation sociale en capacité politique

« Nous étions fatigués d’être fatigués. Alors, nous nous sommes mis en marche. (…)

Nous avons compris que le luttes d’hier ont créé les droits d’aujourd’hui et que les luttes d’aujourd’hui créeront les droits de demain. Nous avons compris que nous avions fait un grand pas en avant en nous indignant, mais nous nous sommes aussi rendu compte que cela ne suffisait pas. Le deuxième pas était plus compliqué : il nous obligeait à nous organiser, à remettre en cause le sens commun. (…)

Ils nous ont dit que nos emplois avaient été détruits, mais sans nous expliquer que si tout cela était arrivé, c’était à cause de leur cupidité. Ils nous ont jetés à la rue de manière brutale. Ils ont beaucoup tiré sur la corde. Mais nous n’avions pas encore de récit capable de rendre compte de ce qui se passait. Quand ils te jettent à la rue, le mieux que tu puisses faire, c’est de t’approprier la rue. Mais aussi les places. (…) Alors, nous avons décidé de faire de la politique, mais pas comme eux. Nous avons changé les règles. (…) Désormais, les gens allaient prendre leurs décisions et écrire leur propre histoire.

Et parce que nous avons confiance dans les gens, une confiance a commencé à prendre corps autour d’un nouveau récit. La peur a changé de camp. (…) et dans les rues, sur les places, la rencontre a eu lieu entre travailleurs urbains, classes moyennes appauvries, étudiants sans avenir, personnes scandalisées par la corruption, retraités ruinés par les affaires frauduleuses des banques, personnes âgées qui doivent prendre en charge leurs enfants ou petits enfants, écologistes désespérés par la menace de mort qui pèse sur la planète, immigrants stigmatisés, femmes soumises à la féminisation de la pauvreté, lutteurs de toutes les vieilles batailles, jeunes qui ont commencé à soupçonner qu’on les trompait… tous ensemble ont commencé à construire un nouveau récit. (…)

Construire un récit, c’était le premier des enjeux qui a pris forme peu à peu pendant que nous étions au combat : appeler les choses par leur nom, dire voleur au voleur et corrompu au corrompu, signaler les coupables dans les lieux où ils jouissent de leur bien être, (…) cesser de déléguer les affaires collectives… Le peuple seul sauve le peuple : cela n’a jamais été aussi vrai qu’aujourd’hui (…)

Nous avons jeté une pierre dans l’étang. Et les vagues ont rencontré le peuple éveillé. »

J. C. Monedero : Prologue. Aux européens, in Podemos. Sûr que nous pouvons ! Indigènes éditions. 2015. Traduction de Claro que podemos. Ed. Los libros del lince. 2014. Sous la direction de A. Dominguez et L. Gimenez.

Neumann : la socialisation, étapes, crises

La définition du concept d’habitus chez Elias, dont Bourdieu s’inspire, comporte un dimension cumulative où les étapes de socialisation et les expériences s’ajoutent, se superposent, ce qui décrit une formation de la personnalité en mouvement, et non pas des habitus figés. (…) Oskar Negt a décrit la succession complémentaire ou contradictoire des étapes de la socialisation d’une personne, où l’adolescence abolit et prolonge l’enfance, où l’exercice d’un métier à l’âge adulte contredit ou utilise les savoirs acquis au cours de la formation scolaire ou universitaire, etc. À chaque étape, la personnalité doit se réorienter, interpréter les expériences nouvelles et surmonter des épreuves ou des crises.

Alexander Neumann : Après Habermas, la théorie critique n’a pas dit son dernier mot. Ed. Delga, p. 192.