Daniele Lorenzini : le pouvoir des mots

Le problème de la force du vrai est bien entendu étroitement lié à celui de la force ou du pouvoir des mots, c’est à dire de l’efficacité du langage, de la  capacité qu’a le langage de « faire » quelque chose (ou, comme l’écrit Oswald Ducrot, de transformer la réalité). Poser ce problème à propos de la parrésia conduit pourtant à mettre en question la thèse selon laquelle l’efficacité du langage n’est fondée que sur l’accomplissement d’une certaine procédure conventionnelle ou institutionnelle – la thèse, en d’autres termes, selon laquelle pour produire des effets sur le réel, le langage est toujours obligé de reproduire des normes déjà établies. L’étude de l’énoncé parrésiastique [...] témoigne au contraire de la capacité qu’ont les mots – dans certaines circonstances et sous certaines conditions – de subvertir les normes instituées et de transformer donc la réalité de manière non prévue et non prévisible à l’avance.

Daniele Lorenzini : La force du vrai.De Foucault à Austin, Le bord de l’eau, 2017, pp. 13-14

Pierre Hadot : le discours philosophique vise moins à informer qu’à former

 

[Le discours philosophique] n’est jamais purement théorique, malgré les apparences ; il est toujours lié et subordonné à la décision fondamentale du philosophe de choisir un certain mode de vie, qui sera d’ailleurs très différent s’il est platonicien, ou aristotélicien, ou cynique, ou épicurien, ou stoïcien, ou sceptique, et qui impliquera chaque fois une certaine vision du monde. Le discours philosophique aura pour tâche d’inviter à prendre cette décision et à la justifier, ou encore d’exposer la vision du monde qui lui correspond. D’une manière générale, le discours philosophique visera moins à informer qu’à former ; il sera moins un exposé qu’un exercice intellectuel ou spirituel destiné à la transformation de l’individu. Lire la suite

rendre à l’avenir ce qui nous a été légué par le passé

Si la finalité dernière de l’anthropologie est, comme je l’ai dit, non pas documentaire, mais transformationnelle, il nous appartient de rendre à l’avenir ce qui nous a été légué par le passé. Que valent les transformations personnelles si elles s’achèvent avec nous, si nous mêmes ne poursuivons pas le processus de transformation réciproque des autres et du monde ? Enseigner, c’est honorer notre engagement en rendant au monde ce que nous lui devons pour nous avoir formés.

Tim Ingold : Faire.Anthropologie, archéologie, art et architecture. Ed. Dehors, 2017, p. 48

Le terrain, apprendre des gens

Lorsque nous sommes sur le terrain, lorsque nous passons un certain temps parmi les gens, en pratiquant ce qu’on a l’habitude d’appeler l’observation participante (bienq ue nous, nous l’appelions plutôt « ethnographie »), nous apprenons des gens parmi lesquels nous vivons. Ce qui est en oeuvre en nous est un processus d’apprentissage, et celui-ci nous transforme : il change la façon dont nous percevons et pensons le monde – même si parfois nous ne nous en rendons compte que bien plus tard.

 

Tim Ingold, dans P. Descola et T. Ingold, Etre au monde. Quelle expérience commune ? Presses de l’Université de Lyon, 2014, p.34