Pierre Hadot : le discours philosophique vise moins à informer qu’à former

 

[Le discours philosophique] n’est jamais purement théorique, malgré les apparences ; il est toujours lié et subordonné à la décision fondamentale du philosophe de choisir un certain mode de vie, qui sera d’ailleurs très différent s’il est platonicien, ou aristotélicien, ou cynique, ou épicurien, ou stoïcien, ou sceptique, et qui impliquera chaque fois une certaine vision du monde. Le discours philosophique aura pour tâche d’inviter à prendre cette décision et à la justifier, ou encore d’exposer la vision du monde qui lui correspond. D’une manière générale, le discours philosophique visera moins à informer qu’à former ; il sera moins un exposé qu’un exercice intellectuel ou spirituel destiné à la transformation de l’individu.

C’est le cas aussi bien des dialogues de Platon, des traités d’Aristote, des lettres d’Epicure ou des écrits de Plotin. Par suite, dans l’Antiquité, l’école philosophique n’est pas seulement une certaine tendance doctrinale ou théorique, mais la communauté vivante où l’on pratique un certain mode de vie et dans laquelle, ainsi chez les épicuriens, maîtres et disciples se soucient mutuellement de leur état intérieur. Car toutes les écoles de philosophie antiques se présentent comme des thérapeutiques, commençant par diagnostiquer les causes de l’état habituel de souffrance, de désordre et d’inconscience dans lequel se trouvent les hommes et proposant ensuite une méthode de guérison.

 

Pierre Hadot : Les premiers philosophes, dans La philosophie comme éducation des adultes, Vrin, 2019, p. 55. (d’abord publié dans Le Nouvel Observateur, Hors série n° 37, 1997).