Expérience esthétique et changement social radical (J. Dewey, 1934)

Le problème du travail et de l’emploi, qui se fait si douloureusement ressentir, ne peut pas être résolu par de simples changements dans les salaires, les heures de travail et les conditions sanitaires. Aucune solution durable n’est possible, excepté dans un changement social radical qui réalise le degré et le genre de participation du travailleur dans la production et dans le caractère social des marchandises qu’il produit. Seul un tel changement modifiera sérieusement le contenu de l’expérience dans laquelle s’inscrit la création d’objets destinés à l’usage pratique. Et cette modification de la nature de l’expérience est l’élément finalement déterminant de la qualité esthétique de l’expérience des choses produites. (…) Lire la suite

Flusser : « technicisation » et perte de sens du travail

 

Dans son texte intitulé « Par delà les machines », publié dans la réédition de l’ouvrage « Les gestes » (Al Dante – Aka, 2014), Vilem Flusser évoque une « technicisation du travail » et sa perte de sens.

« Quand la politique et la science se séparent, la technologie s’installe, et quand l’aspect ontologique du travail se sépare de son aspect déontologique, l’aspect méthodologique triomphe. Les questions « Pour quoi faire ? » et « Pourquoi ? » se réduisent à la question « Comment ? ».  (…)

C’est seulement maintenant que l’on commence à percevoir le résultat de l’évacuation du « bien » et du « vrai » par « l’efficient ». On le voit sous des formes brutales avec Auschwitz, les armes atomiques et les diverses technocraties. Mais on le voit surtout dans des formes plus subtiles de pensée telles que l’analyse structurale, la théorie des jeux et l’écologie. Cela signifie que l’on commence à voir que là où l’intérêt se déplace de la politique et de la science vers la méthode, tout questionnement orienté vers les valeurs devient « métaphysique » au sens péjoratif du terme, tout comme la moindre question sur « la chose même ». L’éthique, comme l’ontologie deviennent des discours dépourvus de sens, car les questions que ces disciplines posent ne participent d’aucune méthode, qui autoriserait des réponses. Et là où il n’y a aucune méthode fondant la réponse, la question n’a aucun sens. Lire la suite

Guy Jobert : « Exister au travail »

Vient de paraître le livre de Guy Jobert « Exister au travail. Les hommes du nucléaire », aux éditions  Erès.

Présentation de l’éditeur :

Dans le cadre de notre activité de travail, par quels moyens et à quel prix tentons-nous d’exister, de nous développer au milieu des autres, et de donner du sens à notre action ?

En ethnologue du monde du travail, Guy Jobert a partagé la vie et écouté longuement les agents de conduite de centrales nucléaires françaises. Il analyse comment ceux-ci explorent des voies multiples pour tenter de faire de leur travail un lieu de construction identitaire ou pour réduire les dangers qu’il fait peser sur leur équilibre. Au-delà des hommes du nucléaire, il montre que tout travailleur mène en permanence deux activités, distinctes mais totalement liées : l’une qui répond directement à sa mission productive et l’autre qui consiste à exister personnellement dans et par son travail. Ces activités demandent toutes deux compétences, efforts, invention, et sont toutes deux menacées par l’échec. L’enjeu pour le travailleur est considérable. Cette perspective confère au travail une place centrale dans la construction de la personne humaine.

Yves Schwartz : Expérience et connaissance du travail

Yves Schwartz (1988, réédition en 2012). Expérience et connaissance du travail. Paris : Les Éditions Sociales.

Quels citations extraites de cet ouvrage :

« Il s’agit donc d’essayer de se cramponner au terrain même du travail, quelques indistinctes qu’en paraissent les limites : non pas le produit ni le moyen, mais l’acte même de faire.  »(p. 439).

« L’activité de travail s’est toujours plus ou moins posée comme un problème à résoudre, inextricablement ‘ergonomique’, technologique et social. » (p. 501).

« Toute notre thèse repose sur l’idée qu’il faut prendre au sérieux le travail comme expérience, expérience de l’humanité. » (p. 526).

« Dans le rapport maître-esclave, le dernier moment est celui de la ‘Bilden’ ou ‘Bildung’, que J. Hipolyte traduit par ‘culture (ou formation)’, dans la mesure où, commente-t-il, terme très général chez Hegel, il s’agit ici d’une formation de l’individu qui, en formant la chose se forme lui-même. »

 » Le travail est Bildung, formation, culture. » (p. 528).

« Toute activité renvoie au champ énigmatique de l’instrumentation d’un corps (…) à l’enracinement problématique du travail dans la vie. » (p. 531).

 » Tout procès de travail interfère avec le fait que les individus se forment à travers (…) une histoire et des processus toujours singuliers, au sens biologique, mais aussi social et symbolique. »

« Dans quelle mesure les ‘buts’ prescrits par l’autorité qui commande le travail sont-ils ou on compatibles avec ceux des individus et des collectifs qui, pour l’accomplir doivent s’instrumenter eux-mêmes ? » (p. 533).

« L’expérience des forces productives, quoique dominées par le capital, est ‘formatrice’ : c’est pour cela que les salariés se l’approprient partiellement, selon des modalités extrêmement diverses et contradictoires. » (p. 557).

« L’acte est pour L. Sève le premier concept de base d’une telle théorie de l’individu concret. (…) Par opposition aux simples ‘conduites’, l’acte prend une double dimension psychique et sociale. (…) La capacité est le complément dialectique de l’acte : elle est en effet la condition individuelle de l’effectuation de l’acte, mais inversement, l’immense majorité des capacités sont elles-mêmes produites ou développées dans l’individu par un ensemble d’actes qui en sont à leur tour la condition. (p. 586).

« La norme taylorienne homogénéise les temps de cycle, les décompose en gestes assez simples pour apparaître dénués de qualité. » (p. 594).

 » Qu’il y ait une expérience des forces productives est précisément le nœud du problème : il n’y a pas d’expérience si toute situation est reproduction à l’identique d’actes sans qualité. » (p. 597).

« On va à de graves mécomptes quand on se préoccupe d’enseigner les travailleurs sans travailler d’abord à formaliser ce qu’ils savent. » (p. 618).

Extraits d’un article d’Yves Schwartz

Yves Schwartz

Philosophe du travail, professeur émérite à l’Université d’Aix en Provence

« L’expérience est-elle formatrice ? » est le titre d’un article de la revue Éducation Permanente (n°158 mars 2004) dans lequel Yves Schwartz pose la question de l’articulation entre le savoir formel et celui que peut apporter l’expérience, notamment celle du travail. Ci-dessous quelques extraits de cet article :

« Toute situation de travail est toujours en partie (…) application d’un protocole et expérience ou rencontre de rencontres. (…) Dans nos environnements de travail, régulés par des normes techniques, économiques, gestionnaires, juridiques, toute situation de travail est toujours partiellement l’application de normes antécédentes, qui, s’il n’y avait qu’elles, feraient d’une situation de travail l’équivalent d’un protocole expérimental. Il faut ainsi distinguer profondément l’expérimentation et l’expérience, c’est à dire la rencontre ». (…) D’une certaine manière, l’ambition du gouvernement taylorien de travail était de faire des actes de travail l’équivalent d’un protocole expérimental où tout aurait été pensé par d’autres avant que les exécutants n’agissent» (p. 18).

Mais l’expérience est toujours « une rencontre de personnes, de situations singulières, de milieux particularisés par leur histoire commune, d’outils de travail : une rencontre de rencontres en somme. (…) Toute activité est un débat, une dramatique, en ce sens qu’il se passe quelque chose entre des normes antécédentes – ce qui est du côté du protocole – et tout ce qui concerne la rencontre de rencontres.» (p. 19).

En savoir plus : http://www.translaboration.fr/wakka.php?wiki=SchwartZ