fonction poétique du langage et tissage de soi

« C’est que,  pour résumer nous ne pouvons oublier que c’est seulement par les chemins de la fonction poétique du langage que continue à se tisser toujours la singularité radicale de chacun. Le métier que nous choisissons peut habiller l’identité de chacun, la renforcer parfois, mais il constitue souvent un simple déguisement : connaître ou reconnaître quelqu’un, et évidemment soi-même, n’est jamais possible en considérant seulement sa manière d’exercer son travail social, son métier, sa fonction.

S’il nous faut donc, en ce qui concerne notre métier de psychothérapeute, aider à ce que le sujet singulier qui nous parle retrouve tout au moins quelques unes des coutures décousues ou des déchirures de son identité en question, il nous faudra faire attention aussi bien à ce que les paroles disent ou cachent, ou aux actes volontaires ou involontaires, pour insignifiants qu’ils soient, qu’à la fonction poétique qui en fait les relie ».

F. Tosquelles Fonction poétique du langage et psychopthérapie, Erès, 2003 (p. 25).

une étoffe de soi

En avril 2013, Isabelle Pariente-Butterlin avait lancé un atelier philosophie en ligne sur la question de l’acte gratuit. Elle ouvrait la discussion en écrivant (Aux Nords des mondes, 6):

« On repère facilement des actes qu’on pourrait dire gratuits dans notre quotidien. L’acte gratuit, non pas au sens où ce serait un acte que nous accomplissons sans savoir pourquoi, mais l’acte gratuit au sens de tous ces actes que nous accomplissons sans rien en attendre en retour. Tous ces actes dont nous n’attendons rien, et que néanmoins nous accomplissons.

Comme écrire, tous les jours. Comme jouer de la musique, tous les jours. Comme marcher simplement dans la ville ou dans la campagne. Ou bien ces élans auxquels nous donnons une forme dans le monde, et qui sont accomplis sans aucune attente, sans espoir de retour » (…)

Dans les échanges qui suivirent, un(e) certain(e) Do soulignait l’importance de ces discussions et évoquait à ce propos la métaphore du tissage de la soie, avec une photo.

Ce qui m’a incité à écrire ce qui suit :

« J’aime bien la métaphore du tissage de la soie et je voudrais la relier à la question de l’acte gratuit. C’est aussi l’occasion de répondre à Isabelle qui a écrit : »Il doit à mon avis être possible de se casser l’âme comme se casse le poignet ou la jambe ». Et aussi « l’humain est cassant comme du cristal ».
Je ne crois pas que l’âme puisse se briser, elle n’est pas faite d’os, ni de verre, elle n’est pas rigide, ni si cassante, ni si transparente. Elle est plutôt comme une peau, ou mieux comme une étoffe. Elle est tissée de toutes les relations que nous avons nouées avec les autres. Il arrive qu’on y fasse un accroc, que nous devrons raccommoder. Nous y parviendrons plus ou moins bien, au bout d’un certain temps et ce n’est pas sans mal. Mais le tissu à cet endroit ne sera plus jamais comme avant, il restera une trace, comme la cicatrice d’une blessure sur la peau.
L’acte gratuit c’est comme tisser une écharpe de soie sans savoir à qui on va l’offrir, ni même si on va l’offrir à quelqu’un. Ou écrire un texte, quelques mots sans savoir si on va les donner à lire. Tisser un texte, tisser son âme, une étoffe de soi. »

le sujet produit par la parole (Tosquelles)

« Il y a tant de gens qui s’entêtent à vouloir être « un tout » et tout avaler tout de suite. Et quand ils voient eux-mêmes qu’un tel projet est indéfendable, alors ils pensent qu’il vaut mieux n’être rien du tout. Tôt ou tard ils pensent d’eux-mêmes qu’ils ne sont rien ou que les autres les traitent comme s’ils n’étaient « rien » : une chose vide, ni plus ni moins qu’un objet, et jamais un sujet, toujours produit, comme nous le disions, par la parole et non par magie ni par culture. Un sujet précisément d’où émergent les questions auxquelles répond le moi en choisissant d’être de telle ou telle bande, de tel ou tel lieu. Nous disions donc que le sujet naît de là-même où la parole s’échappe par des clivages, des chutes et des lézardes et lui fait un nid ».

Tosquelles F. Fonction poétique et psychothérapie. Erès 2003, p. 22.

Ferrarotti sur la méthode biographique et la co-construction du savoir

La méthode biographique c’est autre chose qui est beaucoup plus déstabilisant, parce qu’elle amène le chercheur à reconnaître qu’il ne sait pas, qu’il ne peut commencer à savoir qu’avec les autres – avec les gens – qu’avec le savoir des gens, et en particulier avec le savoir que ses interlocuteurs construisent avec lui dans des prises de parole, dans des conversations, dans des récits.

Franco Ferrarotti

Partager les savoirs, socialiser les pouvoirs, un entretien avec Christine Delory-Momberger, Revue Le sujet dans la cité , n° 4, 2013