L’artiste et le scientifique (J. Dewey)

L’étrange notion qui veut qu’un artiste ne pense pas et qu’un chercheur scientifique, lui ne fasse que cela est le résultat de la conversion d’une différence de tempo et d’accentuation en une différence de genre. Le penseur connait un moment esthétique lorsque ses idées cessent d’être uniquement des idées et deviennent les significations collectives d’objets. L’artiste a ses propres problèmes et réfléchit au fur et à mesure qu’il travaille. Mais sa pensée est incarnée dans l’objet de façon plus immédiate. Parce que ses objectifs sont par comparaison plus éloignés, le scientifique opère avec des symboles, des mots et des signes mathématiques. L’artiste élabore sa pensée au travers des moyen d’expression qualitatifs qu’il emploie, et les termes par lesquels elle s’exprime sont si proches de l’objet qu’il fabrique qu’ils viennent directement se confondre avec lui.

 

J. Dewey L’art comme expérience, 1934, Gallimard, Folio Essais, 2010, p. 49.

 

Expérience esthétique et changement social radical (J. Dewey, 1934)

Le problème du travail et de l’emploi, qui se fait si douloureusement ressentir, ne peut pas être résolu par de simples changements dans les salaires, les heures de travail et les conditions sanitaires. Aucune solution durable n’est possible, excepté dans un changement social radical qui réalise le degré et le genre de participation du travailleur dans la production et dans le caractère social des marchandises qu’il produit. Seul un tel changement modifiera sérieusement le contenu de l’expérience dans laquelle s’inscrit la création d’objets destinés à l’usage pratique. Et cette modification de la nature de l’expérience est l’élément finalement déterminant de la qualité esthétique de l’expérience des choses produites. (…) Lire la suite

Les arts, le corps, la parole (Pascale Weber)

Les arts sont nés simultanément dans tous les groupes humains qui développaient leur intelligence, leur savoir, leur langage, leur organisation sociale. Le corps de l’être humain porte la mémoire de cette longue évolution et l’art connait la polyvalence de ce corps.

 

L’art permet le dialogue et la comparaison entre les différentes constructions culturelles, entre les successives civilisations qui témoignent de notre histoire, notamment en mettant en continuité des modes de vie qui utilisent pareillement nos capacités imaginatives et intellectuelles. Or la parole ne suffit pas pour qui veut aimer, faire l’amour, s’émouvoir, être reconnu, admiré, jouer, rechercher la complicité, la chaleur et la force du groupe, et détruire ou concevoir des mécanismes, des procédures, des stratagèmes, tuer, être effrayé. Et même échanger, même discuter, mentir sont autant d’expériences à vivre, dans notre réalité ou notre imagination, qui débordent la parole. Lire la suite

Le geste de fumer la pipe (V. Flusser)

 

« pourquoi fume-t-on la pipe ? La réponse évidente est : par plaisir. (…) On fume la pipe pour le plaisir d’être obligé d’interrompre sa vie utile et faire des sacrifices inutiles. Mais pourquoi est-ce un plaisir ? Parce que, par une telle interruption et un tel sacrifice, on commence à vivre pour vivre. On vit quand on fume. On exprime son existence par ce geste inutile et couteux. (…) Vivre sa vie, c’est faire des gestes dans lesquels on se reconnaît grâce aux limitations et grâce à leur inutilité, et c’est cela la vie artistique. Elle est donc le contraire d’une vie spontanée : elle est artificielle. Fumer sa pipe est un geste délibéré, artificiel, inutile et couteux. C’est pourquoi il fait plaisir : un plaisir esthétique. Lire la suite