la promesse de la modernité n’est plus crédible (Hartmut Rosa)

Bien sûr, d’une certaine façon, la modernité n’a jamais tenu ses engagements (…). Et le « grand compromis » consistant à accepter l’hétéronomie dans sa vie professionnelle pour obtenir l’autonomie dans sa vie de famille n’a jamais vraiment fonctionné non plus, comme l’a montré Charles Taylor. Néanmoins, le système moderne de privatisation éthique, de capitalisme économique et de politique démocratique a réussi à maintenir le rêve en vie jusqu’au dernier tiers du XXe siècle : la promesse d’une « existence pacifiée », pour reprendre le terme de Marcuse, était crédible en ce qui concerne l’attente d’une croissance économique forte, du progrès technologique, du plein emploi, de la diminution des horaires de travail et de l’existence d’un État-providence en extension. L’histoire pouvait toujours être interprétée comme tendant vers un point auquel la lutte économique (quotidienne), le combat pour la survie et la compétition sociale perdraient leur pouvoir déterminant sur notre forme de vie individuelle et collective. (…)

On l’aura compris, ma thèse est que cette promesse n’est plus crédible dans la « société de l’accélération » moderne tardive. Le pouvoir de l’accélération n’est plus perçu comme une force libératrice, mais plutôt comme une pression asservissante.

 

Hartmut Rosa, Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité tardive, La Découverte/Poche, 2014, p. 108-109.

Les arts, le corps, la parole (Pascale Weber)

Les arts sont nés simultanément dans tous les groupes humains qui développaient leur intelligence, leur savoir, leur langage, leur organisation sociale. Le corps de l’être humain porte la mémoire de cette longue évolution et l’art connait la polyvalence de ce corps.

 

L’art permet le dialogue et la comparaison entre les différentes constructions culturelles, entre les successives civilisations qui témoignent de notre histoire, notamment en mettant en continuité des modes de vie qui utilisent pareillement nos capacités imaginatives et intellectuelles. Or la parole ne suffit pas pour qui veut aimer, faire l’amour, s’émouvoir, être reconnu, admiré, jouer, rechercher la complicité, la chaleur et la force du groupe, et détruire ou concevoir des mécanismes, des procédures, des stratagèmes, tuer, être effrayé. Et même échanger, même discuter, mentir sont autant d’expériences à vivre, dans notre réalité ou notre imagination, qui débordent la parole. Lire la suite