Olivier Marboeuf : catégories de savoirs

 

Cette fâcheuse situation de mauvais.es Nègres a plusieurs origines et l’une d’entre elles est particulièrement saillante en France : la difficulté à tisser des formes de pensée et de sensation, de perception et de réflexion, critiques qui associent différentes perspectives et catégories de savoirs. Si des formes de vie et d’agir constituent des objets d’études, [...] elles ne sauraient porter, par elles-mêmes, des savoirs dignes de participer à des frictions créatives sans une médiation-traduction autorisée. Ainsi les militant.es seront toujours trop fiévreux.ses, aveuglé.es par des luttes les éloignant d’une hypothétique scientificité qui permettrait à leurs paroles, expériences et visions de trouver une place dans le débat universitaire. Il en va de même de tout un ensemble de savoirs vécus et de productions émotionnelles qui sont les trésors que nous offrent celleux dont le corps est archive et qui détiennent de ce fait une des clefs essentielles des rituels de réparation. [...] Lire la suite

C. Jacob Lieux de savoir (conférence)

Les lieux de savoir sont donc tous les lieux où du savoir est produit, activé, fixé, communiqué, transmis, partagé, de même que les lieux qui en finissent par matérialiser une certaine idée du savoir lui-même : bibliothèques, musées, académies, universités, grandes écoles, institutions savantes etc.

Je n’en donne pas une définition fonctionnaliste. Certes, certains savoirs nécessitent des lieux spécifiques, comme un laboratoire doté d’équipements lourds, un atelier avec des outils et des machines, une bibliothèque, etc. Mais on peut aussi lire, réfléchir, écrire, penser, observer dans la rue, dans un jardin, dans le métro, dans un café. Les cafés, on le sait, ont été des lieux de savoir importants, de la République des Lettres à Saint-Germain des Près, ils le sont encore, lorsque l’on reçoit des étudiants pour discuter, lorsque l’on lit et on écrit, dans ces lieux à la fois de sociabilité et d’isolement. Je dirai donc que ce sont les pratiques  qui instituent les lieux de savoir. D’où l’intérêt de reconstituer les pratiques dans les multiples scènes où elles s’inscrivent.

Christian Jacob https://lieuxdesavoir.hypotheses.org/ consulté le 19/11/2019 (conférence pour le master « Sciences en société, EHESS, 7/11/2019

 

 

 

 

 

 

Donna Haraway : savoirs situés

Les « yeux » que rendent accessibles des sciences technologiques modernes ruinent toute idée d’une vision passive ; ces prothèses nous montrent que tous les yeux, y compris nos propres yeux organiques, sont des systèmes de perception actifs, intégrés dans des traductions et des manières particulières de voir, c’est à dire des manières de vivre. Il n’y a pas de photographie non médiatisée ou de chambre noire passive dans les descriptions scientifiques des corps et des machines ; il n’y a que des possibilités visuelles extrêmement spécifiées, chacune avec sa manière merveilleusement détaillées, active, partielle, d’organiser des mondes. (…) Comprendre comment ces systèmes visuels fonctionnent, techniquement, socialement et psychiquement devrait pouvoir ouvrir à une objectivité féministe encorporée.

D. Haraway Savoirs situés, dans Manifeste cyborg et autres essais, Paris : Exils éditeur, 2007 (p. 116).

Lieux de savoirs : trois pistes de réflexion

 

Un texte de Christian Jacob

(Source : dossier Tiers Lieux http://www.livre-paca.org/innovation-et-numerique/projets/tiers-lieux-5 )

« Au fond, qu’est-ce qu’un lieu de savoir ? S’agit-il d’un espace physique et circonscrit, d’un dispositif architectural, d’un lieu institué par les objets et les acteurs qui le fréquentent ou par les opérations qui y prennent place, ou encore de tout support d’une inscription (un énoncé, des signes, un schéma), voire d’une abstraction immatérielle ? (…)

Et faut-il parler de savoir ou de savoirs ? Que l’on privilégie une catégorie englobante ou la variété infinie des formes de savoirs lettrés, techniques, corporels, scientifiques, spirituels, dans tous leurs recoupements possibles, on doit prendre en compte les modalités de leur existence, matérielle ou immatérielle, incorporée ou mentale, objectivée sur des supports ou encodée dans des inscriptions, des discours, des gestes et des chaînes opératoires. Lire la suite

Ce que le numérique fait aux savoirs

Extrait de « La carte et l’Océan: ce que le numérique fait aux savoirs (4) »

Par Christian Jacob

http://lieuxdesavoir.hypotheses.org/1292

La masse des livres, le nombre des textes excèdent les capacités du lecteur individuel. La bibliothèque est un horizon qui peut être écrasant tant elle signifie notre finitude par rapport à l’infini des savoirs. Chaque lecteur doit donc apprendre à se repérer dans cet infini, et à tracer ses propres cheminements, personnels, partiels, inachevés, hésitants.

Ces cheminements peuvent être encadrés par les enseignants, qui déblaient le terrain et prescrivent les lectures. Ils peuvent aussi être menés de manière autonome, selon de multiples stratégies : aléatoires ou programmées, extensives ou intensives, digressives ou focalisées.

Le numérique fait de chacun d’entre nous un voyageur, un nomade et un braconnier, pour reprendre les belles images que Michel de Certeau appliquait à l’homme ordinaire et à ses libres déambulations. Il faut essayer de tracer son chemin au ras du sol, tout en ayant une vision aérienne, cartographique, schématique, de l’espace dans lequel on circule. Le numérique est un art du cheminement, qu’il s’agisse de lire, d’écrire, ou de lier et de relier. Cheminer en liant, en déliant, en reliant. Il y a deux dimensions intimement corrélées : apprendre à avancer, à aller d’un lieu à l’autre sans se perdre, maîtriser les bifurcations, savoir se repérer; mais aussi identifier les lieux où l’on se trouve, les comparer, les évaluer, disposer de l’outillage critique pour sonder les terrains des sites que l’on visite, les informations que l’on collecte.