Hélène Cixous : jouer des langues

« ma famille aimait jouer des langues. On accordait attention et valeur à la force des mots. Je me suis presque immédiatement tenue loin de tout usage scolaire, académique, journalistique. La langue a toujours signifié : liberté. Saute-frontière. Hors-la-loi : ce qui ne peut avoir lieu qu’à condition qu’il y ait de la loi depuis la stabilité de laquelle s’élancer pour faire des sauts périlleux. Et puis, quel moyen de transport vers les profondeurs, que d’échelles souterraines et aériennes : les mots, je les remonte jusqu’à la racine. Ils sont tout jeunes et millénaires. Je leur demande toujours d’où ils viennent, ils portent les temps comme un pollen sur leur corselet. Et puis ils sont métis. Si seulement ces malheureux Français obtusément nationalistes comprenaient qu’ils ne prononcent pas une phrase qui ne soit pas de poly-origine, qu’il y a de l’arabe sur leur langue !

Hélène Cixous (avec Cécile Wajsbrot) : une autobiographie allemande, Christian Bourgois, 2016