Joseph Mornet, sur la clinique de La Borde

« On retrouve dans l’ensemble du fonctionnement les principes de la psychothérapie institutionnelle : « la perméabilité des espaces, la liberté de circuler, la critique des rôles et des qualifications professionnelles, la plasticité des institutions, la nécessité d’un club thérapeutique ». C’est le mouvement ainsi créé qui constitue la fonction « d’analyse » et de formation permanente. Il déjoue la routine et l’ennui. Il provoque des hasards. Il permet des rencontres. Il ouvre des paroles. En un mot, il permet de maintenir le désir en favorisant l’hétérogénéité des champs d’investissement.

De la même manière, toute commission, tout groupe, toute réunion a des statuts précaires: ils ne valent que par leur contexte qui, par définition, est fluctuant car vivant.

En 1955, Félix Guattari, qui accompagnait déjà Oury à Saumery, le rejoint définitivement à la Borde : la clinique fonctionnera avec cette « machine bicéphale » jusqu’à la mort du philosophe en 1992. Il définit ainsi la Borde :

« On met en place autour du malade un système d’objets de médiation pour le prendre au piège de la relation. On tisse une immense toile d’araignée avec des itinéraires, des circuits, des branchements. Dès qu’une petite connexion s’amorce, on la renforce. On fait des nœuds aux points de couture pour que ça tienne. » (F. Guattari, interview du Nouvel Observateur, 7 mai 1973.) (…)

Cinquante ans après l’ouverture de la clinique de la Borde, le bilan de sa pratique déborde largement le seul champ de la santé mentale. Elle traverse tout le champ des sciences humaines, de la philosophie et du politique. »

Joseph Mornet : Psychothérapie institutionnelle, Histoire et actualité. Champ social éditions, 2007.

Giorgio Agamben sur la politique

Quelques extraits du texte de Giogio Agamben : Dans cet exil. Journal italien 1992-1994, in Moyens sans fins. Notes sur la politique. Payot et Rivages, 1995.

Aujourd’hui, les partis qui se définissent « progressistes » et les coalitions dites « de gauche » ont gagné les élections administratives dans des grandes villes où l’on votait. On est frappé par la préoccupation obsessionnelle des vainqueurs de se présenter comme establishment, de rassurer à tout prix les vieux potentats économiques, politiques et religieux. (…)

Une chose est sûre : ces politiques finiront par être battus par leur volonté même de vaincre à tout prix. Le désir d’être establishment les perdra comme il a perdu leurs prédécesseurs.

…………………………………………………………………………………………………

Il est important de savoir distinguer défaite et déshonneur. (…) Il y a eu déshonneur parce que la défaite (de la gauche) n’a pas conclu une bataille sur des positions opposées, mais a seulement décidé à qui il revenait de mettre en pratique une idéologie identique du spectacle, du marché et de l’entreprise. Un capitalisme en chapeau melon et à la mauvaise conscience a été battu par un capitalisme plus affranchi et sans complexe (ce qui était prévisible)…

Jean-Claude Milner, dans L’Archéologie d’un échec, a identifié clairement le principe au nom duquel s’est accompli ce processus : transiger. La révolution devait transiger avec le capital et avec le pouvoir comme l’Église avait dû pactiser avec le monde moderne. Ainsi, petit à petit a pris forme la devise qui a guidé la stratégie du progressisme dans sa marche ratée vers le pouvoir : il faut céder sur tout, réconcilier toute chose avec son contraire, l’intelligence avec la télévision et la publicité, la classe ouvrière avec le capital, la liberté de parole avec l’État-spectacle, la société avec le développement industriel, la science avec l’opinion, la démocratie avec l’appareil électoral, la mauvaise conscience et l’abjuration avec la mémoire et la fidélité. (…)

La politique classique faisait une distinction entre zoé et bios, entre vie naturelle et vie politique, entre l’homme comme simple être vivant, qui avait son lieu dans la maison, et l’homme sujet politique qui avait son lieu dans la polis. Eh bien, nous ne savons plus rien de tout cela. (…)

Il nous a fallu nous habituer à penser et à écrire dans cette confusion de corps et de lieux d’extérieur et d’intérieur, de ce qui est muet et de ce qui a la parole, de ce qui est esclave et de ce qui est libre, de ce qui est besoin et de ce qui est désir. (…)

Mais c’est à partir de ce terrain incertain, de cette zone opaque d’indifférenciation, que nous devons aujourd’hui retrouver le chemin d’une autre politique, d’un autre corps, d’une autre parole.

Identité, identités (selon M. Godelier)

En tant que membre de la tibu, il porte un grand nom, celui d’être un « Baruya » comme on est un « Français », mais il est aussi membre d’un des groupes de parenté qui composent cette tribu. Il est un « Bakia », par exemple, mais son identité ne se réduira jamais à ces deux identités englobantes.(…) Il (elle) a autant d’identités qu’il (elle) appartient simultanément à différents groupes sociaux par un aspect (ou par un autre) de lui ou d’elle-même. Il est homme et non pas femme, il est le co-initié de… Elle est femme (…) Il est le fils de… Elle est soeur de, mère de…

Toutes ces identités sont des cristallisations en chaque individu de différents types de rapports aux autres, de fonctions et de statuts qui aboutissent à lui  (à elle) et s’impriment en lui (en elle), soit partent de lui (ou d’elle) et vont s’imprimer chez d’autres. Toutes ces identités qui s’impriment en lui ou qu’il confère aux autres, l’individu en trouve et le contenu et la forme au sein des rapports sociaux spécifiques et de la culture qui caractérisent sa société, dans les particularités de leurs structures et de leurs contenus. Elles constituent la multiplicité concrète de son identité sociale, qui n’est jamais un simple addition d’identités distinctes, de rapports particuliers. Car l’identité personnelle, intime d’un individu est toujours le produit d’une histoire singulière… »

Maurice Godelier : Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie. Champs, Flammarion, 2010. (Première édition : Albin Michel, 2007).