Expérience esthétique et changement social radical (J. Dewey, 1934)

Le problème du travail et de l’emploi, qui se fait si douloureusement ressentir, ne peut pas être résolu par de simples changements dans les salaires, les heures de travail et les conditions sanitaires. Aucune solution durable n’est possible, excepté dans un changement social radical qui réalise le degré et le genre de participation du travailleur dans la production et dans le caractère social des marchandises qu’il produit. Seul un tel changement modifiera sérieusement le contenu de l’expérience dans laquelle s’inscrit la création d’objets destinés à l’usage pratique. Et cette modification de la nature de l’expérience est l’élément finalement déterminant de la qualité esthétique de l’expérience des choses produites. (…) Le contrôle oligarchique, depuis le dehors, des processus et des produits du travail est la principale force empêchant le travailleur d’avoir cet intérêt privé pour ce qu’il fait et produit, qui est une condition préalable essentielle de la satisfaction esthétique. Il n’y a rien dans la nature de la machine de production per se qui soit un obstacle insurmontable à la possibilité que les travailleurs connaissent la signification de ce qu’ils font et jouissent des satisfactions de la camaraderie et de l’utilité du travail bien fait. Les conditions psychologiques résultant du contrôle privé du travail d’autres hommes pour un bénéfice privé, plus que n’importe quel principe psychologique ou économique établi, sont des forces qui étouffent et réduisent la qualité esthétique de l’expérience qui accompagne les processus de production.

J. Dewey L’art comme expérience, 1934, Gallimard, Folio Essais, 2010, p. 547-548