Va jusqu’au bout de tes erreurs

Va jusqu’au bout de tes erreurs, au moins de quelques unes, de façon à en bien pouvoir observer le type. Sinon, t’arrêtant à mi-chemin, tu iras toujours aveuglément reprenant le même genre d’erreurs, de bout en bout de ta vie, ce que certains appelleront « ta destinée ». L’ennemi qui est ta structure, force-le à se découvrir. Si tu n’as pas pu gauchir ta destinée, tu n’auras été qu’un appartement à louer.

H. Michaux. Poteaux d’angle. Cité par A. Maïsetti en exergue à Affrontements. Publie.net

Écologie de l’attention

« Si notre attention est un champ de bataille où se joue le sort de nos soumissions quotidiennes et de nos soulèvements à venir, alors nous sommes à la croisée des chemins. Chacun peut apprendre à mieux « gérer » ses ressources attentionnelles, pour être plus « performant » et plus « compétitif »… Ou alors, nous pouvons apprendre à nous rendre mieux attentifs les uns aux autres, ainsi qu’aux relations qui tissent notre vie commune. Lire la suite

LENDEMAINS GUERRES…

LENDEMAINS GUERRES ET LARGES

http://www.nuitetjour.xyz/nuitetjourfree/2015/11/22/lendemains-guerres-et-larges-par-arnaud-masetti

…. « C’est le propre de l’Histoire quand elle a lieu : qu’elle se dérobe sous nos pieds. Viendra le temps de la pensée, puis celle, sans doute, de l’action. Pour l’heure, passé celui de la sidération et de l’émotion, c’est le temps redoutable et infect des bavardages, des avis délivrés comme pour se vautrer dans soi-même, et de jouir de la lâcheté d’en posséder un, d’avis, et que dans sa banalité, ils trouvent là leur singularité.

Pendant trois jours évidemment, surtout ne pas écrire qui ajouterait aux mots d’autres mots et la honte. Lire la suite

à ceux qui déclenchent les guerres

« Karel écrivait : La guerre est une banalité qui nous contraint à remplacer ce que nous avons détruit par ce que d’autres détruiront. Il m’a longtemps semblé que cette phrase énonçait une fatalité pire que l’ironie, puis je me suis aperçu que Karel signifiait que la guerre est un système qui s’entretient de lui-même. Qu’importe ses acteurs et ses justifications, il se nourrit de ses dévastations. La victoire et la défaite n’ont aucune pérennité, sinon comme germes de la prochaine guerre. »

Ayerdhal : Chroniques d’un rêve enclavé, Au diable vauvert, 2009.

folie, norme et démocratie (Leslie Kaplan)

« la folie est un possible pour tout être humain, et il faut prendre les mots au sérieux. Est « fou » ce qui est « pas normal », et aussitôt la question rebondit : « normal » c’est quoi ? Qu’est-ce que c’est, vivre normalement ? Accepter la réalité ? Quelle réalité doit-on accepter ? Jusqu’où faut-il accepter la réalité ? Est-ce que vouloir changer la réalité c’est être fou ? Pour Freud, la santé mentale c’est être suffisamment névrosé pour tenir compte de la réalité, et suffisamment psychotique pour vouloir la transformer.

En somme, la folie questionne la société toute entière et chacun en particulier. Or la démocratie est un régime où la norme est, peut être, sans arrêt questionnée, remise en cause, c’est un régime qui reconnaît, en principe, les conflits, et permet, en principe, leur élaboration. Lire la suite

le marcheur apprend en marchant

 » c’est essentiellement à travers les pratiques de trajet que les créatures habitent le monde. (…) Cette réflexion nous conduit finalement à ce qui fonde la différence entre ces deux systèmes de savoir, celui de l’habitation et celui de l’occupation. Pour le premier, les chemins de la connaissance se développent de manière continue dans le monde : littéralement, le marcheur « apprend en marchant » sur la ligne tracée par le voyage. Pour le second, la connaissance s’appuie sur une distinction radicale entre la mécanique du mouvement et la formation du savoir, ou entre la locomotion et la cognition. »

Tim Ingold : une brève histoire des lignes, Ed. Zones sensibles, 2013.

déposez sur la table votre métaphysique

Sur le site de son éditeur (www.lyber-eclat.net/lyber/korzybski/), on trouve dans un « glossaire » des termes clés de la pensée d’Alfred Korzybski une série de citations de son ouvrage « Science and Sanity : An Introduction to Non-aristotelian Systems and General Semantics (1933), par exemple, l’entrée suivante :

« Termes non-définis [undefined terms] :

a) Nous demandons d’abord quelle est la ‘signification’ de chaque mot prononcé, en nous satisfaisant de définitions approximatives; puis nous demandons la ‘signification’ de chaque mot employé dans les définitions, et nous poursuivons le processus pendant 10 à 15 minutes, pas davantage, jusqu’à ce que la victime commence à tourner en rond – par exemple en définissant «espace» par «longueur» et «longueur» par «espace». À ce stade, nous sommes d’habitude en présence des termes non-définis propres à cette personne. (p. 21)

b) Nous voyons que la structure de n’importe quel langage, (…) est telle qu’il nous faut commencer implicitement ou explicitement par des termes non-définis. (p. 152)

c) Dans la littérature scientifique d’autrefois, on avait l’habitude de demander «définissez vos termes». Le nouveau modèle de la science en 1933 devrait réellement être «énoncez vos termes non-définis». Autrement dit, «déposez sur la table votre métaphysique, (…) et ne commencez qu’alors à définir vos termes à l’aide de ces termes non-définis». (p. 155) »

Il me semble que l’on pourrait appliquer la même proposition à la littérature : à l’origine, au fondement, à la source de l’engagement dans l’écriture, n’y aurait-il pas un petit nombre de « termes non-définis » ? Je me demande même si ce qui structure la psychè  – l’expression est bien lourde, mais je n’en trouve pas d’autre qui évite « esprit » ou « âme » – de chacun d’entre nous, écrivant ou pas, ne serait pas quelque mot non-défini ou question sans réponse.

Alain Supiot : système juridique et imaginaire normatif de la société

« La pérennité d’un système juridique dépend de sa capacité à relier les conditions concrètes d’existence de la société qu’il régit, avec l’imaginaire normatif qui spécifie cette société. C’est-à-dire de sa capacité à relier son être et son devoir être, et à canaliser la dynamique qu’ils entretiennent mutuellement. Dans la texture du droit s’impriment ainsi tout à la fois ce que les sociétés affrontent, ce qu’elles rêvent et ce qu’elles redoutent. Autrement dit ce qui les fait agir.(…)

Le droit, la science et l’art vont d’un même pas dans une civilisation donnée. Car l’homme marche à la poursuite des images qui l’habitent et le sens de ces images – y compris l’image scientifique – est indissociable du sens de cette marche. Se représentant l’univers comme une horlogerie entièrement soumise aux lois de la physique, l’imaginaire industriel a métamorphosé les ouvriers en rouages d’une vaste machine productive. Suivant les préceptes de Taylor, ils ont été soumis à une organisation dite « scientifique » de leur travail, dont le premier principe était de leur interdire de penser.(…)

La déshumanisation du travail étant considérée comme la rançon du progrès, le droit de l’emploi a institué l’échange de l’abdication de sa liberté par le salarié contre un minimum de sécurité physique et économique. Ainsi, devenu aveugle aux réalités du travail, l’État social est incapable de faire face à leurs transformations. (…)

La révolution numérique va ainsi de pair avec celle qui s’opère en matière juridique, où l’idéal d’une gouvernance par les nombres tend à supplanter celui du gouvernement par les lois. (…)

Les salariés, les entreprises et les États sont aux prises avec un même processus de réification qui, étant humainement intenable, suscitera nécessairement des réponses juridiques nouvelles. »

A. Supiot : Grandeur et misère de l’État social. Collège de France/Fayard, 2013.

 

Neumann : la socialisation, étapes, crises

La définition du concept d’habitus chez Elias, dont Bourdieu s’inspire, comporte un dimension cumulative où les étapes de socialisation et les expériences s’ajoutent, se superposent, ce qui décrit une formation de la personnalité en mouvement, et non pas des habitus figés. (…) Oskar Negt a décrit la succession complémentaire ou contradictoire des étapes de la socialisation d’une personne, où l’adolescence abolit et prolonge l’enfance, où l’exercice d’un métier à l’âge adulte contredit ou utilise les savoirs acquis au cours de la formation scolaire ou universitaire, etc. À chaque étape, la personnalité doit se réorienter, interpréter les expériences nouvelles et surmonter des épreuves ou des crises.

Alexander Neumann : Après Habermas, la théorie critique n’a pas dit son dernier mot. Ed. Delga, p. 192.

Apprendre à vivre (Edgar Morin)

« Vivre s’apprend par ses propres expériences avec l’aide d’abord des parents, puis des éducateurs, mais aussi par les livres, la poésie, les rencontres. Vivre, c’est vivre en tant qu’individu affrontant les problèmes de sa vie personnelle, c’est vivre en tant que citoyen de sa nation, c’est vivre aussi dans son appartenance à l’humain. Bien sûr lire, écrire, compter sont nécessaire au vivre. (…)  Mais il manque de plus en plus la possibilité d’affronter les problèmes fondamentaux et globaux de l’individu, du citoyen, de l’être humain. (…)

De plus, la raréfaction de la reconnaissance des problèmes complexes, la surabondance des savoirs séparés et dispersés, partiaux et partiels dont la dispersion et la partialité sont elles-mêmes sources d’erreurs, tout cela nous confirme qu’un problème clé de notre vie d’individu, de citoyen, d’être humain à l’ère planétaire, est celui de la connaissance. Partout on enseigne des connaissances, nulle part on enseigne ce qu’est la connaissance… »

Edgar Morin : Enseigner à vivre. Manifeste pour changer l’éducation. Actes Sud – Play Bac, 2014.