Giorgio Agamben sur la politique

Quelques extraits du texte de Giogio Agamben : Dans cet exil. Journal italien 1992-1994, in Moyens sans fins. Notes sur la politique. Payot et Rivages, 1995.

Aujourd’hui, les partis qui se définissent « progressistes » et les coalitions dites « de gauche » ont gagné les élections administratives dans des grandes villes où l’on votait. On est frappé par la préoccupation obsessionnelle des vainqueurs de se présenter comme establishment, de rassurer à tout prix les vieux potentats économiques, politiques et religieux. (…)

Une chose est sûre : ces politiques finiront par être battus par leur volonté même de vaincre à tout prix. Le désir d’être establishment les perdra comme il a perdu leurs prédécesseurs.

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Il est important de savoir distinguer défaite et déshonneur. (…) Il y a eu déshonneur parce que la défaite (de la gauche) n’a pas conclu une bataille sur des positions opposées, mais a seulement décidé à qui il revenait de mettre en pratique une idéologie identique du spectacle, du marché et de l’entreprise. Un capitalisme en chapeau melon et à la mauvaise conscience a été battu par un capitalisme plus affranchi et sans complexe (ce qui était prévisible)…

Jean-Claude Milner, dans L’Archéologie d’un échec, a identifié clairement le principe au nom duquel s’est accompli ce processus : transiger. La révolution devait transiger avec le capital et avec le pouvoir comme l’Église avait dû pactiser avec le monde moderne. Ainsi, petit à petit a pris forme la devise qui a guidé la stratégie du progressisme dans sa marche ratée vers le pouvoir : il faut céder sur tout, réconcilier toute chose avec son contraire, l’intelligence avec la télévision et la publicité, la classe ouvrière avec le capital, la liberté de parole avec l’État-spectacle, la société avec le développement industriel, la science avec l’opinion, la démocratie avec l’appareil électoral, la mauvaise conscience et l’abjuration avec la mémoire et la fidélité. (…)

La politique classique faisait une distinction entre zoé et bios, entre vie naturelle et vie politique, entre l’homme comme simple être vivant, qui avait son lieu dans la maison, et l’homme sujet politique qui avait son lieu dans la polis. Eh bien, nous ne savons plus rien de tout cela. (…)

Il nous a fallu nous habituer à penser et à écrire dans cette confusion de corps et de lieux d’extérieur et d’intérieur, de ce qui est muet et de ce qui a la parole, de ce qui est esclave et de ce qui est libre, de ce qui est besoin et de ce qui est désir. (…)

Mais c’est à partir de ce terrain incertain, de cette zone opaque d’indifférenciation, que nous devons aujourd’hui retrouver le chemin d’une autre politique, d’un autre corps, d’une autre parole.

Revue le sujet dans la cité, n°4, novembre 2013

« Partager les savoirs, construire la démocratie » est le thème du numéro 4 (2013) de cette revue internationale de recherche biographique, avec un très riche contenu, notamment un entretretien avec Franco Ferrarotti, sociologue italien, fondateur de la revue « La critica sociologica » et un témoignage d’Agnès Bertomeu sur la clinique de La Borde.

déstabiliser l’oppresseur

Imaginer le champ de bataille

contre l’oppression

dans un autre espace

que celui que fréquente habituellement

l’oppresseur

c’est déjà déstabiliser l’oppresseur

qui analyse toujours

sa situation de dominant

avec une théorie opérationnelle

fonctionnant uniquement dans l’espace

de la théorie qu’il comprend

Serge Pey  Dialectique de la tour de Pise

Dernier télégramme, 2010

penser hors de la hiérarchie

« si nous ne comprenons pas clairement que nous voulons remettre en cause une certaine hiérarchie et si nous n’analysons pas la hiérarchie de façon non seulement à la renverser, mais même à penser en dehors d’elle, nous resterons prisonniers des termes mêmes de cette hiérarchie ».

Pierre Vesperini. Retour sur les “mains de l’intellect” (27/11/ 2013)

http://lieuxdesavoir.hypotheses.org/1255

 

Les concepts ont une mémoire

« ne pas dissocier le problème du sujet de la politique de démocratisation, de l’historicité des instruments conceptuels qu’on utilise pour le poser, et (…) tenir compte de la complexité de cette histoire : une histoire théorique bien sûr, mais toujours déjà affectée intérieurement par l’histoire sociale, économique, politique, idéologique, qui en oriente les significations, les fait bifurquer ou les bouleverse en fonction des revirements des conjonctures. Cela revient à dire que les concepts dans lesquels on interroge les modes de subjectivation dans l’espace politique sont toujours marqués par les conjonctures dans lesquels ils ont été forgés ou transformés, marqués aussi par les effets non théoriques qu’ils produisent dès lors qu’ils s’incorporent dans des institutions, des organisations, des agents collectifs qui se les approprient dans leurs pratiques. Les concepts ont une mémoire, seulement cette mémoire n’est pas purement conceptuelle. En ce sens les concepts de la pensée politique ne sont jamais « purs », et c’est leur impureté spécifique qui doit être précisément analysée : par quoi se définit une position matérialiste dans la pensée politique. »

Guillaume Sibertin-Blanc : « Généalogie, topique, symptomatologie de la subjectivation politique : questions-programme pour un concept politique de minorité » in :  Dissensus – Revue de philosophie politique de l’Université de Liège – N°5 – Mai 2013 – (Dossier Subjectivations politiques et économie des savoirs), p. 104.

Walter Benjamin (1892-1940)

Quelques citations extraites de « Sens unique » de W. Benjamin (1928, traduction française par Jean Lacoste, 1978, nouvelle édition 1988, Ed. Maurice Nadeau) :

« L’efficacité littéraire, pour être notable, ne peut naître que d’un échange rigoureux entre l’action et l’écriture ; elle doit développer, dans les tracts, les brochures, les articles de journaux et les affiches, les formes modestes qui correspondent mieux à son influence dans les communautés actives que le geste universel et prétentieux du livre. » (p. 139)

« Les œuvres achevées ont pour les grands hommes moins de poids que ces fragments sur lesquels leur travail dure toute la vie. » (p. 143).

« Tout indique que le livre sous cette forme traditionnelle approche de sa fin. » (p. 163).

« L’objectivité doit être toujours sacrifiée à l’esprit de parti si en vaut la peine la cause pour laquelle on se bat. » (p. 172).

Bensaïd : Walter Benjamin Sentinelle messianique à la gauche du possible (Plon, 1990)

Dans ce livre, Daniel Bensaïd propose une lecture de la pensée de Benjamin, qu’il résume en disant qu’il s’agit d’un messianisme politique, démocratique et libérateur. (lire la suite sur  le site translaboration : http://www.translaboration.fr/wakka.php?wiki=BenjamiN