La parole contraire de E. De Luca

L’écrivain italien Erri De Luca est poursuivi devant un tribunal de Turin pour avoir dans des interview incité à « saboter » le chantier de la ligne de train à grande vitesse Lyon-Turin. Dans un petit livre récemment publié il défend le droit à exprimer une parole oppositionnelle, qu’il nomme « la parole contraire ».

« J’introduis ainsi comme je peux l’accusation portée contre moi : l’incitation.

Inciter à un sentiment de justice qui existe déjà mais qui n’a pas encore trouvé les mots pour s’exprimer et donc être reconnu. (…) Un écrivain incite tout au plus à la lecture et quelque fois aussi à l’écriture. (…) Lire la suite

Transformer son indignation sociale en capacité politique

« Nous étions fatigués d’être fatigués. Alors, nous nous sommes mis en marche. (…)

Nous avons compris que le luttes d’hier ont créé les droits d’aujourd’hui et que les luttes d’aujourd’hui créeront les droits de demain. Nous avons compris que nous avions fait un grand pas en avant en nous indignant, mais nous nous sommes aussi rendu compte que cela ne suffisait pas. Le deuxième pas était plus compliqué : il nous obligeait à nous organiser, à remettre en cause le sens commun. (…)

Ils nous ont dit que nos emplois avaient été détruits, mais sans nous expliquer que si tout cela était arrivé, c’était à cause de leur cupidité. Ils nous ont jetés à la rue de manière brutale. Ils ont beaucoup tiré sur la corde. Mais nous n’avions pas encore de récit capable de rendre compte de ce qui se passait. Quand ils te jettent à la rue, le mieux que tu puisses faire, c’est de t’approprier la rue. Mais aussi les places. (…) Alors, nous avons décidé de faire de la politique, mais pas comme eux. Nous avons changé les règles. (…) Désormais, les gens allaient prendre leurs décisions et écrire leur propre histoire.

Et parce que nous avons confiance dans les gens, une confiance a commencé à prendre corps autour d’un nouveau récit. La peur a changé de camp. (…) et dans les rues, sur les places, la rencontre a eu lieu entre travailleurs urbains, classes moyennes appauvries, étudiants sans avenir, personnes scandalisées par la corruption, retraités ruinés par les affaires frauduleuses des banques, personnes âgées qui doivent prendre en charge leurs enfants ou petits enfants, écologistes désespérés par la menace de mort qui pèse sur la planète, immigrants stigmatisés, femmes soumises à la féminisation de la pauvreté, lutteurs de toutes les vieilles batailles, jeunes qui ont commencé à soupçonner qu’on les trompait… tous ensemble ont commencé à construire un nouveau récit. (…)

Construire un récit, c’était le premier des enjeux qui a pris forme peu à peu pendant que nous étions au combat : appeler les choses par leur nom, dire voleur au voleur et corrompu au corrompu, signaler les coupables dans les lieux où ils jouissent de leur bien être, (…) cesser de déléguer les affaires collectives… Le peuple seul sauve le peuple : cela n’a jamais été aussi vrai qu’aujourd’hui (…)

Nous avons jeté une pierre dans l’étang. Et les vagues ont rencontré le peuple éveillé. »

J. C. Monedero : Prologue. Aux européens, in Podemos. Sûr que nous pouvons ! Indigènes éditions. 2015. Traduction de Claro que podemos. Ed. Los libros del lince. 2014. Sous la direction de A. Dominguez et L. Gimenez.

Neumann : la socialisation, étapes, crises

La définition du concept d’habitus chez Elias, dont Bourdieu s’inspire, comporte un dimension cumulative où les étapes de socialisation et les expériences s’ajoutent, se superposent, ce qui décrit une formation de la personnalité en mouvement, et non pas des habitus figés. (…) Oskar Negt a décrit la succession complémentaire ou contradictoire des étapes de la socialisation d’une personne, où l’adolescence abolit et prolonge l’enfance, où l’exercice d’un métier à l’âge adulte contredit ou utilise les savoirs acquis au cours de la formation scolaire ou universitaire, etc. À chaque étape, la personnalité doit se réorienter, interpréter les expériences nouvelles et surmonter des épreuves ou des crises.

Alexander Neumann : Après Habermas, la théorie critique n’a pas dit son dernier mot. Ed. Delga, p. 192.

Derrida et la trace

 » En cherchant à dénouer le primat de la présence du présent dans l’interrogation sur l’être, Derrida en vient à découvrir l’importance de la trace et de l’écriture.
Car ce que la trace, et toute forme d’écriture, porte, c’est précisément une absence, un passé. En tout cas un autre que l’être comme simple présence.
De fait, la pensée de la trace s’interroge sur tout ce qui diffère, et c’est en ce sens que l’écriture est une « différance ». Elle diffère son présent et son maintenant, elle renvoie toujours à quelque chose ou à quelqu’un d’autre. »

by Christian Fauré on 22 mars, 2007

http://www.christian-faure.net/2007/03/22/derrida-parle-a-propos-de-letre-6/

Apprendre à vivre (Edgar Morin)

« Vivre s’apprend par ses propres expériences avec l’aide d’abord des parents, puis des éducateurs, mais aussi par les livres, la poésie, les rencontres. Vivre, c’est vivre en tant qu’individu affrontant les problèmes de sa vie personnelle, c’est vivre en tant que citoyen de sa nation, c’est vivre aussi dans son appartenance à l’humain. Bien sûr lire, écrire, compter sont nécessaire au vivre. (…)  Mais il manque de plus en plus la possibilité d’affronter les problèmes fondamentaux et globaux de l’individu, du citoyen, de l’être humain. (…)

De plus, la raréfaction de la reconnaissance des problèmes complexes, la surabondance des savoirs séparés et dispersés, partiaux et partiels dont la dispersion et la partialité sont elles-mêmes sources d’erreurs, tout cela nous confirme qu’un problème clé de notre vie d’individu, de citoyen, d’être humain à l’ère planétaire, est celui de la connaissance. Partout on enseigne des connaissances, nulle part on enseigne ce qu’est la connaissance… »

Edgar Morin : Enseigner à vivre. Manifeste pour changer l’éducation. Actes Sud – Play Bac, 2014.

du chaos à l’humanisation

« Cette période de chaos peut être aussi, comme tous les grands bouleversements, l’occasion d’un saut qualitatif dans l’histoire de notre humanisation. A condition d’allier « l’optimisme de la volonté » au « pessimisme de l’intelligence », comme le proposait Gramsci (…). Il nous faut être tout à la fois totalement lucides sur l’ampleur des risques et capables de construire une nouvelle espérance sur la base des forces de renouveau qui ont commencé à émerger au cours des dernières décennies. »

P. Viveret. La cause humaine. Du bon usage de la fin d’un monde. Les Liens qui Libèrent. 2012, p. 28

Ce mot : humanité

J’ai l’impression qu’on ne cesse de comprendre et de prendre la mesure de la signification de ce mot : humanité.

7 mars 10:43, par Isabelle Pariente-Butterlin
http://www.auxbordsdesmondes.fr/spip.php?article2123#forum5944
Et aussi :

il suffit de lever nos regards vers les vagues immémoriales, de revenir aux vagues immémoriales, de revenir à elles pour revenir à soi, et de suivre le vent et les rafales de lui sur le bleu ulysséen de la mer. Le bleu turquoise, le bleu intense, le bleu ulysséen, le bleu immémorial, le bleu pur de tout renoncement à l’exigence duquel nous tenir. Obstinément. Jusqu’à l’extension rêvée, impression rêvée, au-delà des limites-mêmes du monde, extension rêvée, redevenue possible, suivre les rafales de vent nous traversant de la présence du monde et du bonheur pur d’être.N’est-ce pas à cela qu’il faut nous tenir obstinément, résolument, bonheur pur d’être, nous, êtres imparfaits et défaillants dans un monde bouleversé, mais tout de même et quoi qu’il en soit, néanmoins dans ce monde, sans que ce monde ne puisse nous ôter cela : bonheur pur d’être et de vivre.Puissions-nous nous retenir de nos mains aimantes à tout ce qui nous en assure.

Isabelle Pariente-Butterlin

Recomposition en cours Fragments 20

http://www.auxbordsdesmondes.fr/spip.php?article2125

écrire

« Ecrire, c’est un mode de pensée à l’œuvre qui transforme en profondeur celui qui écrit, un mode de pensée qui humanise. Ecrire, c’est par l’imaginaire décaler son regard, c’est mettre en mots le monde, c’est se rendre lucide sur les maux du monde et ses propres maux. C’est apprendre à différer, à apprivoiser l’autre, à surseoir à ses pulsions… Ecrire, c’est se construire en tant que sujet qui pense. »

Yves Béal

http://www.questionsdeclasses.org/?Ecrire-Ecrire-ensemble-pour-vivre

champ d’intervention et champ d’analyse (Lourau)

« Dans la socianalyse, la pertinence de la distinction entre champ d’intervention et champ d’analyse a été maintes fois testée : elle demeure essentielle, même si bien du travail attende la socianalyse quand il s’agit de traiter les interférences entre les deux champs. (…) Le champ d’intervention comprend tout l’espace-temps disponible aux intervenants en fonction de la commande initiale et des modifications en extension éventuellement produites par l’analyse de la commande et des demandes dans le cours même de l’intervention ; il comprend donc implicitement toute la population directement ou indirectement concernée par la commande. Les frontières de l’espace-temps et de la population sont métastables. Les repères du champ sont pris dans la dynamique qu’ils instaurent. Nous sommes dans le local et ce local (…) subit l’indétermination de la situation, du dispositif que l’on essaie de mettre en place, de l’analyse collective plus ou moins poussée des implications de chacun et tout d’abord des intervenants eux-mêmes. (…)

Le champ d’analyse est le système de référence théorique en tant qu’il se veut opératoire dans une situation de recherche-action qui est avant tout une situation sociale. Dans cette situation, la distanciation n’est pas une posture idéale s’appuyant sur des techniques lentes de consolidation et de vérification des données, mais réside dans l’analyse des implications qui s’actualisent collectivement.(…) Ce qui se dit, ce qui se fait dans la « cuisine » de l’intervention n’est réductible ni à un dialogue entre partenaires, ni à l’application d’une théorie du social à une réalité micro-sociale. Les concepts de commande, de demandes, d’implication, de dispositif, d’autogestion, d’assemblée générale, d’analyseur, de dérangement, de restitution, de transversalité,etc. fonctionnent dans le champ d’analyse comme des repères clignotants.(…) »

(Lourau utilise ensuite la métaphore du store vénitien). « On peut avancer l’hypothèse que dans une situation d’intervention ce qui se passe concrètement entre intervenants et clients est ce qui ouvre, ferme, modifie l’angle d’ouverture des lames du store « champ d’analyse ». Ou, en utilisant l’approche pragmatiste de Dewey, on dira que les implications logiques ou formelles (d’un champ d’analyse) sont secondes par rapport aux implications matérielles ou existentielles. »

René Lourau. Deuxième variation, in Implication/Transduction, Anthropos, (p. 9-11)

 

La parole et le don (B. Maris)

« L’homme est un animal communiquant. Il parle, écoute, répond. La plupart de ses activités sont des activités de réciprocité et d’échange gratuites. L’amitié, l’amour, la séduction ne sont pas guidés, en générale, par des motifs monétaires. (…) L’homme est surtout un animal social. Pris dans les filets du langage, il est d’abord un animal parlant. Le langage, cette construction collective, relève du don/contre-don : je donne, mais j’ai l’obligation de recevoir et, ayant reçu, j’ai l’obligation de rendre. On ne parle pas à un mur. Donner, recevoir, rendre tissaient un réseau de liens dans les anciennes sociétés. Ces liens existent évidemment encore aujourd’hui. Nombre de rapports amicaux ou professionnels sont fondés sur le donner-recevoir-rendre. Ils sont probablement infiniment plus nombreux, subtils et porteurs de valeurs morales que les rapports marchands… »

Bernard Maris, Antimanuel d’économie. 2. Les cigales. Bréal, 2006, p. 144.